Se préparer à l’effondrement exige de s’orienter vers un mode de vie autonome. En politique ce choix est assimilé à « la décroissance ». Ce concept méconnu fait trembler les économistes… qui, comme on le sait, sont de grands enfants. Alors, plutôt qu’un topo théorique, j’ai choisi de vous expliquer la décroissance en histoires courtes et rigolotes.
La parabole du hamster 🐹
Nous sommes comme ces hamsters qui courent dans leur roue. Nous passons notre temps à tourner en rond, à courir derrière une chose que l’on atteindra jamais (carrière, célébrité, richesse, reconnaissance, honneur).
Le premier pas vers la décroissance, c’est de prendre conscience que les quêtes de l’égo n’ont jamais de fin et qu’une grande partie de notre souffrance, on se l’inflige nous-même.
La version ado-trash de cette parabole est le film Fight Club, ode punchy à la déconsommation !
Lire aussi : La simplicité volontaire expliquée par ses pères fondateurs
Et si la cigale et la fourmi devenaient meilleures amies ?
La fable de La Fontaine oppose une cigale rêveuse à des fourmis besogneuses. Mais cette opposition est absurde ! Personne n’est totalement rêveur, ni besogneux, tout le temps !
Les deux vont ensemble. Les deux insectes peuvent être bonnes amies. Sinon la cigale sera malheureuse d’avoir faim et la fourmi sera malheureuse de ne faire que travailler.
Et si la cigale apprenait à danser à la fourmi… et si la fourmi remerciait la cigale en lui donnant quelques rations ?
Moralité : « La finalité de l’économie doit être la joie de vivre », disait Nicholas Georgescu-Roegen, père de la décroissance.
Avez-vous déjà lu La Fourmi et la Cigale, de Françoise Sagan, la version 70’s de la fable ? Si non, la voici : La Fourmi, ayant stocké tout l’hiver se trouva fort encombrée quand le soleil fut venu / Qui lui prendrait les morceaux de mouches ou de vermisseaux ? / Elle tenta de démarcher chez la Cigale sa voisine, La poussant à acheter quelque grain pour subsister jusqu’à la saison prochaine. « Vous me paierez, lui dit-elle, après l’oût, foi d’animal, intérêt et principal. » / La cigale n’est pas gourmande : c’est là son moindre défaut. « Que faisiez-vous au temps froid ? dit-elle à cette amasseuse. Nuit et jour à tout venant, je stockois, ne vous déplaise. Vous stockiez ? j’en suis fort aise : eh bien ! soldez maintenant. »
Lire aussi : La simplicité volontaire expliquée à un startuper
Le boulanger des croissants
Il y a fort fort longtemps, dans un très lointain pays, cinq amis vivaient dans leur petit village au milieu des bois. Il y avait un boulanger, un paysan, un meunier, un bûcheron et un apiculteur.
Tous les dimanches, ces cinq compagnons avaient l’habitude de se retrouver chez le boulanger, pour partager sa grande spécialité : les croissants au miel. Mais, un jour, un prince vint acheter tous les croissants et demanda qu’on lui en livre tous les jours autant. Alors, tout le monde se mit au travail, car les cinq amis étaient très contents de gagner des pièces d’or. Mais bientôt, tout changea dans le pays… et le bonheur disparut. À force d’en vouloir toujours plus, il en vinrent à détruire leur forêt et leur amitié. Ils n’avaient plus le temps de profiter de la vie.
Lire cette vidéo sur YouTube
Lire aussi : 12 jours pour passer au zéro déchet, mon défi réussi !
Mr Chic et le cyclodrome du rasoir électrique
Un jour, Mr Chic rentre à la maison avec un beau paquet. Il s’est acheté un nouveau rasoir électrique. Le lendemain matin, grâce à ce nouveau rasoir, il réussit à se raser deux fois plus vite qu’avant ! Il a donc gagné 5 minutes dans le temps de sa journée. Que va-t-il en faire ? Le passer avec ses enfants, avec sa maman, avec son chien, avec un livre ? Nooooon. Il va l’utiliser pour inventer un nouveau rasoir encore plus rapide ! Mais pour quoi faire ?
Bref, la décroissance n’est pas l’ennemie du progrès.
Vous êtes donc contre le Progrès ? Demandait-on à Nicholas Georgescu-Roegen. Ce à quoi il répondit : « Je suis pour un autre type de Progrès, celui du bon sens paysan : comment on fabrique le progrès, pour quel usage et pour répondre à quels besoins fondamentaux ».
Autrement dit : si l’écologie est incompatible avec l’idée de croissance infinie ; elle est, par contre, tout à fait compatible avec le progrès social.
Pour un décroissant, toute innovation n’est pas nécessairement souhaitable. Les gens riches n’ont pas nécessairement réussi leur vie. Les gagnants qui courent après les médailles ne sont pas nécessairement heureux. L’argent n’est pas la seule forme de richesse. Le travail n’est pas le seul endroit où l’on peut être utile à la société.
La décroissance ne veut pas dire appauvrissement général. L’objectif est la décroissance de certains secteurs pour donner la priorité aux secteurs essentiels : l’éducation, la santé, la solidarité, la culture, l’information, la justice et la production locale d’aliments et d’outils. La réduction de production de biens de consommation est compensée par la production de services relationnels, et d’activités de création de liens. La décroissance, c’est donc la reconnaissance d’autres formes de richesses que la production.
Lire aussi : « Papa, maman, c’est quoi l’effondrement ? » Que répondre aux gosses
Une journée avec Madame Décroissant
Après s’être réveillée, Madame Décroissant passe à la salle de bain. Et quand elle se lave la figure et les dents, elle prend bien soin de ne pas gaspiller l’eau. « Règle n°1, dit-elle : réduire sa consommation ! ».
Dans son dressing, Madame Décroissant n’a pas beaucoup de vêtements, et la plupart appartenaient à sa grande sœur qui les lui a donné, après les avoir utilisés. « Règle n°2, dit-elle : réutiliser les choses ! ».
Une fois habillée, Madame Décroissant part sur le chemin du travail, à pied.
Mr Chic, toujours rasé de près, vient à passer avec sa grosse auto. « Madame Décroissant, puis-je vous amener à votre travail à bord de ma nouvelle auto super rapide ? » demande-t-il avec galanterie. « Non merci ! répond Madame Décroissant, je préfère marcher ! » Mr Chic fait la moue et part à toute vitesse dans son auto qui fait beaucoup de bruit. « Règle n°3, dit Madame Décroissant : refuser ce qui est inutile ! ». En effet, il était bien inutile d’aller au travail en auto : cela ne lui demande que 20 minutes de marche et, en plus, c’est bon de faire un peu d’exercice.
Arrivée à son travail, Madame Décroissant passe dans la cafétéria, pour s’offrir une pomme. Elle la mange devant la fenêtre, et, une fois qu’il ne reste que le trognon, elle ouvre la fenêtre et le jette dans le jardin, devant l’immeuble. Mr Chic, qui passait par là, lui crie « Madame Décroissant ! Vous êtes folle de jeter des déchets par les fenêtres ! ». « Ce n’est pas un déchet, répond Madame Décroissant. C’est un trognon de pomme qui va nourrir les petites bêtes qui vivent sur la pelouse. Il ne faut pas le jeter, c’est en engrais ! » Elle ferme la fenêtre, et conclut : « Règle n°4 : recycler, c’est sacré ! »
La légende du colibri, c’est bien joli mais…
Beaucoup d’entre vous sont familiers avec cette histoire chère à Pierre Rabhi.
« Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! » Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Cette légende est bien jolie, mais changer ses comportements personnels ne suffit pas à éteindre le gigantesque incendie. Il faut aller plus loin en provoquant un changement de système.
C’est là que les décroissants passent à l’action politique, à partir d’un programme qui tient en 3 points (ça tombe bien, ça fait des économies de papier !).
1-Refuser le culte de la croissance pour la croissance.
La croissance infinie des biens et des services sur une planète aux ressources finies est im-po-ssible. Un exemple : si toute la population du monde consommait autant que les Français, on aurait besoin de 3 planètes. Ce caractère insoutenable du modèle de développement actuel ne fait plus débat chez les économistes.
2-Construire une économie sobre et conviviale, la simplicité volontaire et solidaire.
Établir un revenu maximum, réduire le temps de travail à 3 jours par semaine, passer le reste du temps à des activités d’autoproduction alimentaire, de bénévolat, d’entraide.
3-Gérer les « communs » grâce à des coopératives locales (à but non lucratif) de l’énergie, de l’eau, de la santé, de l’information et de l’éducation, permettant de fournir ces biens et services quasigratuitement.
Ce programme est radical, mais pas utopiste. Il est au cœur du projet du Conseil National de la Nouvelle Résistance (cofondé par Pablo Servigne et d’autres collapsologues) et a déjà été partiellement mis en œuvre dans la ville de Mouans-Sartoux, en Provence.
Lire cette vidéo sur YouTube
Les recos du libraire :
Pensouillard le hamster, petit traité de décroissance personnelle, de Serge Marquis (Éd Transcontinental, 2011).
Quand la misère chasse la pauvreté, de Majid Rahnema (Ed. Babel, 2003).
La décroissance, de Nicholas Georgescu-Roegen (1979)
Le Boulanger des Croissants, de Yannick Beaupuis (2013)
Le journal La Décroissance.