La pénurie mondiale de tout (ou peak all) est la conséquence inéluctable de l’actuelle pénurie d’énergie et de ressources naturelles. Jusqu’ici prévue pour les années 2050, elle pourrait intervenir bien plus tôt, à cause des sécheresses répétées en Chine.
La Chine a soif. D’eau et de fuel.
Cette info ne fait pas la Une des JT… et pourtant, le monde dépend désormais du niveau des précipitations dans le Guangdong (Sud-est rural de la Chine).
Avec près de 2 fois moins de pluies depuis octobre 2020 dans cette région, la sécheresse met plus de 500 000 chinois face à des pénuries d’eau.
Dans le même temps, la Chine connaît une pénurie de Diesel : les camions sont rationnés à hauteur de 100 L par pompe, soit 10% d’un plein !
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Moins d’eau, moins d’énergie
Cette catastrophe humanitaire locale tourne désormais à la crise globale.
Car la sécheresse prolongée impacte directement l’économie chinoise et donc globale.
En effet, les barrages hydroélectriques qui assurent près de 20 % de la production électrique chinoise, se trouvent en sous-régime constant. Un manque que les centrales à charbon n’arrivent plus à combler.
La raison ? Une limitation des exportations de charbon par l’Australie à la Chine, sur fond de tensions diplomatiques et de lutte contre le réchauffement climatique.
Cette situation plonge la Chine dans sa pire pénurie d’énergie depuis dix ans. Et le Guangdong – où 1 produit chinois sur 10 est fabriqué – est contraint de rationner son électricité.
Autres signes inquiétants : à Huludao, les autorités ont demandé aux habitants de ne plus utiliser leurs appareils gourmands en électricité (chauffe-eau, fours micro-ondes) et, dans la ville de Harbin, les centres commerciaux ferment désormais dès 16 heures.
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Peak all
Ces restrictions condamnent les usines du Guangdong, mais aussi du Zhejiang et de 7 autres provinces chinoises, à cesser leur production plusieurs jours par semaine jusqu’en 2022 !
Les effets de ces fermetures se font déjà sentir dans le monde entier. Je pense notamment aux pénuries de composants électroniques qui touchent les fabricants d’appareils électriques et qui pourraient se prolonger « au moins jusqu’en 2023 » selon des prévisionnistes.
Le saviez-vous ? 60% de la production mondiale de semi-conducteurs est réalisée sur l’île de Taïwan !
Cette situation m’a immédiatement rappelé la thèse du spécialiste des énergies Richard Heinberg, exposée dans son essai Peak everything (2007).
Selon ce spécialiste des énergies renouvelables, le pic pétrolier n’est que la première étape de la fin de « l’ère de l’excès » et du passage à une « ère de la modestie », qui va nous priver, petit à petit, de la société de consommation. Comment ? Par la « pénurie de tout ». À commencer par tout ce qui est électronique !
Au passage, je recommande à tous ceux qui n’ont pas de difficulté à lire l’anglais de parcourir l’inspirante museletter d’Heinberg !
L’aluminium : premier métal en voie de disparition. Dans un essai de 2015, Philippe Bihouix évoquait une prochaine pénurie des métaux. Nous y sommes ! Par manque de magnésium et de silicium, l’aluminium se fait rare. Or l’aluminium est le principal matériaux des containers par lesquels transitent 80 % de nos importations. Pour l’instant, les grands industriels du secteur, comme Matalco et Alcoa Corp, se contentent de rationner les stocks. Mais ils envisagent déjà des difficultés de production d’ici 2022. Mais les effets de la pénurie de conteneurs se font déjà sentir. La pénurie d’aluminium : voici le maillon faible de la globalisation !
Pénurie de charbon… et maintenant de fioul
La pénurie d’eau et de charbon a conduit les industries à utiliser des générateurs d’électricité au fioul. Conséquence : le pays connaît une pénurie de diesel.
Les prix du pétrole, du gaz et du charbon ont atteint leurs plus hauts niveaux depuis 2014.
Effet coup de fouet
Vous l’avez compris : ces tensions énergétiques ne posent pas seulement un gros problème aux industriels chinois. Mais elles entraînent une réaction en chaîne sur toute l’économie mondiale.
Je vous ai parlé de la pénurie de puces électroniques. Mais le véritable ralentissement concerne les industries très gourmandes en énergie. Notamment celles du bâtiment et de la sidérurgie.
Ainsi, la firme Chengde New Material, l’un des plus grands producteurs d’acier chinois, est contrainte de cesser la production au moins 2 jours par semaine, soit 10 000 tonnes d’acier qui manqueront chaque mois.
Quant aux industries du Guangdong, elles représentent un quart (!) du commerce international, avec la production de vêtements, jouets et d’ordinateurs.
Les économistes théorisent ce phénomène sous le nom de bullwhip effect (effet coup de fouet). C’est la manière dont de petits changements vont créer des perturbations qui se répercutent sur l’ensemble d’une chaîne d’approvisionnements. Une sorte de théorie du chaos appliquée au capitalisme globalisé.
Pour Mireille Bruyère, maîtresse de conférences en sciences économiques à l’université de Toulouse Jean Jaurès, ces pénuries révèlent la grande fragilisé de l’organisation actuelle de l’économie. « On peut produire à quelque jours d’intervalles n’importe quel produit et le recevoir via des systèmes de livraison ubérisés, mais cette très haute productivité se paye en très grande fragilité : quand un rouage manque, que ce soit à cause d’un manque de composant ou d’une grève locale, toute la chaîne est aussitôt déréglée« , explique-t-elle.
L’effet COVID. Selon Mathilde Aubry, professeure associée en économie à l’EM Normandie, la cause des pénuries de bois de construction, de pâte à papier, de semi-conducteurs est la crise du Covid qui a provoqué « d’énormes tensions sur la demande de biens électroniques ; mais aussi des tensions géopolitiques croissantes entre la Chine et les États-Unis et une dépendance notable du point de vue de l’offre, puisque l’essentiel de la production se concentre sur une région du monde, l’Asie du Sud-Est, où les contextes sanitaire et climatique ont pu altérer cette production ».
Pénurie de main-d’œuvre
Le COVID-19 aurait fait fuir près de 5 millions de travailleurs chinois (sur 290 millions environ). La plupart sont repartis dans leur province rurale. Sur place, on parle du « retour au village des travailleurs migrants » comme d’un phénomène massif.
Dans le même temps, de nombreux jeunes diplômés se trouvent sans emploi. À l’origine de cette hausse du chômage des jeunes : le ralentissement de la croissance chinoise qui pointait depuis déjà plusieurs années.
Plus anecdotique, mais pourtant symptomatique : certains grands ports, comme celui de Yantian (Chine) ou de Long Beach (Californie), sont engorgés, faute de dockers.
Le saviez-vous ? En 2001, l’essayiste Gordon Chang publie The Coming Collapse of China. Un livre annonçant l’effondrement de la chine pour 2010. Depuis, il ne cesse de répéter que la bulle immobilière chinoise est sur le point d’éclater. Il évoque le surendettement et la corruption du secteur. Pourtant, malgré la chute du géant de l’immobilier Evergrande, le régime tient encore le coup. Jusqu’à quand ?
Retards, inflation, crise
Pour l’instant, nous ne subissons que quelques « retards de livraison ». Les délais d’expédition augmentent un peu partout.
Mais si la pénurie vient à devenir une « tendance » (et non un épisode exceptionnel), nous assisterons bientôt à une hausse des prix généralisée.
Pour certains analystes, la crise pourrait même conduire la Chine à se recentrer sur elle-même et à « reterritorialiser » son économie et sa société.
En 2021, Pékin a décidé de réduire les autorisations d’exportations de carburant, en limitant à les droits à 7,5 millions de tonnes d’hydrocarbures transformés contre 28 millions à la même époque l’an passé ! Soit -73 % ! Vous pensez que c’est pour des raisons écologiques ? On peut en douter. Vu que Xi Jinping vient d’avaliser la réouverture de 15 mines de charbon au Xinjiang… Tout en s’engageant à en « réduire progressivement » l’usage à partir de 2026.
« L’usine du monde » serait-elle entrain de fermer ses portes… ?
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