David Holmgren, père de la permaculture a rencontré Pablo Servigne en mai 2021. Ils ont parlé de permaculture, mais aussi d’effondrements, de crises climatiques, et de l’avenir.
David Holmgren et Bill Mollison. L’élève et le professeur. Les deux concepteurs de la permaculture, cette méthode de design de systèmes soutenables au destin international. Née en Tasmanie dans les années 1970 à la suite des chocs pétroliers, elle a essaimé tout autour du globe depuis presque un demi-siècle, hors des circuits académiques, changeant la vie de millions de personnes et les aidant à construire une vie plus soutenable en prévision de la grande « descente énergétique » à venir.
J’ai connu David Holmgren par les livres, au milieu des années 2000. Un choc. C’était à Bruxelles, à l’époque des débuts de l’agriculture urbaine, des squats, des jardins collectifs… La permaculture était rhizomatique, underground, vivante grâce à quelques rares formations données par les pionniers.
Elle était géniale, car elle apportait une vision systémique de l’action, ainsi que des principes simples à appliquer à n’importe quoi. Des principes magnifiques, issus du vivant et des peuples premiers.
À partir de 2008, il y a eu le boom des Villes en Transition, du Britannique Rob Hopkins, un formateur en permaculture… très influencé par David Holmgren. Le cœur de ce mouvement international a toujours été de préparer la « descente énergétique », ensemble, dans la joie, en construisant un monde que nous nous permettions de rêver… et toujours très conscients des risques catastrophiques. Pour Hopkins, une initiative de Transition sert à créer « des paysages comestibles », autrement dit de la permaculture à grande échelle.
David et moi nous sommes parlés en mai 2021 par visioconférence, Covid oblige, mais surtout car il vit en Australie et que nous voyageons peu. Avec lui, c’est bizarre, il paraît si loin (8h de décalage), et pourtant si proche… J’ai eu cette impression paradoxale de parler à un frère tout autant qu’à un grand auteur, à un ancien… très jeune dans sa tête, à un praticien… super théorique.
Avec lui, tout est complexe et pourtant si fluide.
PABLO SERVIGNE
David, je suis très heureux d’avoir une conversation avec toi. Pour moi, c’est une grande émotion de parler à l’une des personnes qui ont le plus influencé ma vie et ma façon de penser ! Voici ma première question : quelle était la motivation des jeunes – ainsi que la tienne – dans les années 1970 en Australie ?
DAVID HOLMGREN
Je pense qu’il y a eu à la fois des peurs et des élans positifs, qui ont conduit à ce que Bill Mollison et moi avons fini par appeler la permaculture. Ayant grandi dans une famille très politisée à gauche (« radicals »), j’étais habitué aux idées de lutte pour la justice sociale. Pour ma génération issue du baby-boom et de la révolution « sex, drug & rock n’roll » de la fin des années 1960 et du début des années 1970, il était difficile de se rebeller contre ses parents… « cools », d’une certaine façon.
Quand j’ai croisé la route de Bill Mollison, ce n’était pas seulement lui et ses idées que j’ai rencontrés, mais aussi son cercle d’amis, par exemple des personnes qui construisaient dans leur cour des bateaux pour la haute mer qu’ils avaient eux-mêmes conçus sur papier ! Et s’ils ne faisaient pas les choses eux-mêmes, ils connaissaient quelqu’un qui pouvait le faire.
Pour moi, c’était un monde très responsabilisant et motivant, ce monde de confiance en soi et en la collectivité, plutôt qu’un monde de dépendance à un système plus large.
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PS • Tu as parlé de la peur. Quelle était-elle à l’époque ? Le pic pétrolier ? L’apocalypse nucléaire ? Les pénuries ?
DH • Quand j’ai emménagé chez Bill Mollison, en 1974, j’ai vu qu’il y avait des dizaines de bacs contenant du riz, du sucre, des bougies, ainsi que des munitions pour les fusils qui étaient accrochés au mur. C’était un foyer rural et il y avait des armes à feu. Il stockait de la nourriture pour l’effondrement, et je lui ai demandé : « Pourquoi le riz blanc ? Pourquoi pas du riz brun ? » Et il a répondu : « Oh, ça ne se conserve pas comme le riz blanc. » [rires]
Il y avait donc certainement une crainte à cette époque, après la publication du rapport Les Limites à la croissance (Limits to Growth) en 1972, et, bien sûr, la crise pétrolière de 1973. Ce rapport parlait d’un effondrement de la société industrielle pour le XXIe siècle, mais l’événement de cette première crise pétrolière a montré à quel point la société moderne était dépendante du pétrole et d’autres ressources en voie d’épuisement.
PS • Donc il n’était pas vraiment question de nucléaire, de biodiversité ou de climat…
DH • Non, le risque de guerre nucléaire était un élément constant de l’équation. La première action politique dont je me souviens dans mon enfance a été de marcher 20 kilomètres de Perth à Fremantle pour l’interdiction de la bombe en 1962. J’avais sept ans. Tout le monde était très conscient des risques de conflit nucléaire pendant la guerre froide.
La question du climat et de la destruction écologique était bien présente, mais pas aussi forte que la question de l’épuisement des ressources et du nucléaire.
Tout cela, combiné au mouvement de la contre-culture, a donné naissance aux « communautés intentionnelles » et au mouvement du « retour à la terre », à l’émergence des mouvements d’agriculture biologique et aux débuts de l’environnementalisme, qui étaient très puissants en Tasmanie.
Le plus grand enjeu était de reconnaître que l’agriculture était l’activité la plus importante et la plus destructrice de la planète. C’est l’activité à l’origine de l’effondrement des civilisations
PS • Le but de la permaculture était donc de créer de la soutenabilité afin de répondre au risque de dépendance au pétrole, et aussi de régénérer les écosystèmes…
DH • Le plus grand enjeu était de reconnaître que l’agriculture était l’activité la plus importante et la plus destructrice de la planète. C’est l’activité qui couvre le plus de surface et qui est historiquement à l’origine de l’effondrement des civilisations. L’industrialisation de l’agriculture a massivement étendu ces menaces et a déconnecté les gens de leurs sources de subsistance, avec une énorme dépendance aux combustibles fossiles… Un système où finalement plus d’énergie entre dans le système alimentaire que ce qui en sort comme nourriture !
Ce paradoxe nous semblait très bizarre, étant donné que l’humanité a toujours survécu grâce au fait que les humains mettent moins d’énergie à produire de la nourriture que ce qu’ils en retirent ! [rires]
Les deux premières idées de la permaculture étaient de remplacer la monoculture par la polyculture et de remplacer notre dépendance à l’égard des plantes annuelles (qui ne vivent qu’une année, comme le blé) par des plantes pérennes et surtout des arbres, afin de répondre aux besoins humains de manière soutenable, de manière « permanente ».
J’ai donc rencontré Bill Mollison en 1974. Nous avons commencé à parler publiquement des idées de la permaculture en 1976, et le livre Permaculture One a été publié en 1978. Mais il est très intéressant de noter qu’en 1977, quinze éditeurs ont approché un universitaire inconnu et acariâtre et un étudiant diplômé totalement inconnu pour publier le manuscrit ! [rires]
Cela montre l’intérêt qu’il y avait à l’époque pour ces idées. Les gens voulaient du pratique, pour cultiver des aliments, construire leurs propres maisons, être plus autosuffisants. C’était un vrai mouvement, une réponse populaire de base.
Certes, nous étions désolés pour toutes ces choses plus importantes qui se passaient ailleurs dans la société, mais il fallait bien passer par cette première étape. Le succès de la permaculture peut s’expliquer par le fait qu’elle s’est saisie de certains principes de vie (qui sont devenus des principes de conception), qu’elle y a ajouté des principes éthiques des cultures indigènes et qu’elle a mélangé tout ça de façon hybride avec la science et avec la modernité, avant de les traduire dans notre langage.
PS • Parlons d’effondrement. Je sais que tu connais bien le sujet, mais tu évites le terme. C’est pour toi une question de stratégie. Tu préfères celui de « descente énergétique ». J’ai toujours compris la permaculture comme un moyen de se protéger des effondrements et de naviguer dans la « descente énergétique ». Alors, la permaculture est-elle une méthode pour contrôler l’effondrement ou pour l’éviter ?
DH • Les deux. D’une part, elle nous éloigne des forces qui nous poussent vers l’effondrement, notamment la croissance de l’économie, la consommation de matériaux, une plus grande dépendance aux ressources qui s’épuisent, l’utilisation de substances toxiques, des pratiques qui endommagent la nature, etc.
Donc en réduisant les impacts négatifs, on réduit la probabilité ou la gravité de l’effondrement.
D’autre part, elle permet de passer à un cycle régénérateur qui guérit, répare et restaure. C’est-à-dire de construire des systèmes de survie à l’échelle de la communauté et des ménages individuels. C’est l’idée des « canots de sauvetage civilisationnels » (lifeboats) qui peuvent s’emparer des éléments d’une civilisation défaillante pour construire quelque chose, des radeaux, et ainsi trouver cette capacité de naviguer à travers l’effondrement.
Bien sûr, tout cela dépend de l’échelle de temps et de la vitesse de la transition ou du changement, qui peut se produire à plusieurs niveaux.
La raison pour laquelle j’utilise le terme « descente énergétique » plutôt que « effondrement » (qui est très utilisé par les scientifiques) est qu’en anglais, ce mot véhicule une idée de fin totale, comme une fin de l’histoire et une fin du monde, en particulier à cause du millénarisme de la culture chrétienne occidentale. La fin du monde matériel, la seconde venue du Christ.
Et je voulais aussi faire ressortir la nuance dans la façon dont les choses peuvent se produire, de manière plus graduelle, avec des phases de stagnation, voire de croissance ponctuelle, dans un déclin lent et global. L’étude de cas historique la mieux documentée que nous ayons est celui de l’Empire romain. Cela nous a donné un modèle de ce déclin progressif où il y a ces crises, puis une certaine stabilisation, une autre crise, etc.
Ce changement continu, mais par à-coups, est comme ce que nous avons traversé avec la croissance pendant des siècles. Depuis 500 ans ou même plus, si on remonte jusqu’aux débuts des civilisations agricoles, cette croissance a obligé chaque génération, au moins à l’ère moderne, à faire quelque chose de très différent des générations précédentes.
Cette idée se poursuivra à l’avenir. Et c’est l’une des grandes forces que nous portons du passé : cette adaptation au changement. Cela donne l’espoir d’arriver à vivre ce processus d’abandon progressif de la complexité, d’ouvrir à la possibilité d’une décroissance ou d’une descente plus planifiée. Ceci dit, je ne vois pas la grande « descente énergétique » comme un processus intrinsèquement sous contrôle…
Les gens voulaient du pratique, pour être plus autosuffisants. C’était un vrai mouvement, une réponse populaire de base
PS • Le terme « descente énergétique » est très intéressant, car il met l’accent sur l’énergie. Mais aujourd’hui, la plupart des gens voient surtout le climat ou la biodiversité.
DH • Oui. J’admets que l’un des inconvénients du terme « descente énergétique » est que les gens pensent en termes simplistes d’approvisionnement en carburant pour faire fonctionner des machines ou fournir de l’électricité, parce qu’ils comprennent mal comment l’énergie nette disponible [l’énergie disponible après extraction, ndlr] limite et détermine la capacité d’un système à croître à la fois en termes d’échelle, de complexité organisationnelle interne et de niveaux hiérarchiques d’organisation.
Les gens ne comprennent pas que l’énergie est la mesure de ce qui est possible pour l’organisation humaine, c’est une mesure clé !
Ce manque de connaissances énergétiques et écologiques signifie que les gens, même les écologistes, ont tendance à faire la même erreur que les économistes : penser que l’énergie est juste une ressource particulière dont nous avons besoin.
Par exemple, l’un des symptômes de la descente énergétique est qu’une plus grande partie de l’économie est axée sur la récolte, la distribution et le traitement de l’énergie qu’auparavant. En d’autres termes, l’énergie semble peser de plus en plus sur l’économie. Il y a plus de panneaux solaires, plus d’éoliennes, plus de personnes travaillant sur l’énergie. Donc apparemment pas de pénurie d’énergie !
Mais en fait, l’énergie nette nécessaire pour soutenir toutes les autres complexités de la société est en train de diminuer. Et donc la croissance de l’énergie et de l’activité économique énergétique… est en fait un signal qu’il faut économiser l’énergie ! [rires]
PS • Les gens te connaissent surtout pour la permaculture, mais moins pour ton livre Future scenarios (2009, non traduit), qui est très politique. Dans cet essai, tu décris quatre scénarios en fonction de deux facteurs : la vitesse de la descente énergétique et les impacts du changement climatique. Tu as appelé « brown tech » le scénario où le niveau de consommation énergétique ne baisse pas, alors que le changement climatique s’accélère. Qu’est-ce que c’est ? Après 12 ans, peux-tu dire que nous y sommes ?
DH • Oui, je pense que Future scenarios est intéressant avec le recul historique. Il est clair que nous sommes dans un déclin de l’énergie nette, mais il a été jusqu’à présent très graduel. Cela pourrait toujours s’accélérer ou devenir soudain ! Mais cela signifie donc que nous sommes en quelque sorte entrés dans les deux espaces que j’ai décrits comme « green tech » et « brown tech » (pas de rupture énergétique).
Il est très important de comprendre que ce ne sont pas des choix que font les gens. Ces scénarios émergent à partir de deux moteurs, ou contraintes, que sont l’énergie nette du pétrole et la gravité du changement climatique.
Et depuis quelques années, c’est le changement climatique qui a été extrême, plus que toutes les prédictions officielles. Cela signifie donc que nous sommes passés au scénario « brown tech » (« technologies brunes »).
C’est ce que je disais dans mon essai Crash on Demand (2013, non traduit), et c’est ce qui a été source de controverse. Surtout lorsque j’ai exploré cette piste d’un krach de la demande pour faire s’effondrer le système. L’idée, radicale, mais réalisable, est que si un certain nombre de consommateurs deviennent responsables et autonomes (une minorité relativement faible de la classe moyenne mondiale) et donc se décrochent du système (provoquant une baisse de la demande), alors on aura peut-être une chance d’empêcher le rouleau compresseur du capitalisme de précipiter le monde dans un chaos.
C’est pour moi un meilleur pari que de demander aux élites de tirer les bons leviers politiques, ou de développer des technologies « vertes » par des mouvements de masse.
Dans le scénario « brown tech », les crises s’accélèrent à cause du climat, mais aussi à cause des instabilités géopolitiques associées au climat et à la baisse graduelle de l’énergie nette (des tensions sur les ressources). Si l’énergie nette diminue, cela signifie moins de capacité à soutenir les plus hauts niveaux de l’organisation hiérarchique mondiale, et toutes ces structures (ONU, Banque mondiale, etc.) commenceront à devenir instables.
Le pouvoir se relocalise, mais pas comme ce que nous voulons, toi et moi ou Rob Hopkins [rires], non, il y a un retour de l’État-nation. C’est une conséquence des crises climatiques, des pandémies et des conflits géopolitiques.
L’idéologie du marché-qui-fournit-des-solutions est en train de se briser, et les gouvernements découvrent qu’ils doivent trouver des réponses, au même moment où les multinationales gagnent en puissance.
Forcément, les réponses aux crises aggravent des crises. Je cite souvent le gouvernement australien, qui décide de construire des usines de désalinisation de l’eau de mer pour faire face à la crise de la sécheresse, afin de fournir de l’eau aux grandes villes. Mais, ce faisant, elles augmentent les émissions de gaz à effet de serre. Rétroaction positive. C’est pareil avec les très grandes structures en béton pour protéger les villes de la montée du niveau des mers, etc.
Un autre aspect, très important selon moi, est que les gouvernements se retrouvent dans une situation contradictoire où ils ne peuvent pas assurer la sécurité alimentaire ou les services d’électricité pour toute la population, comme ils pouvaient le faire par le passé. Et donc ils encouragent les personnes éloignées dans l’arrière-pays rural ou aux marges de la société à partir ou à être autonomes (« débrouille-toi ») ou alors à revenir vers les villes, où le gouvernement pourra s’occuper d’eux.
Cela signifie donc que le système est en conflit interne. D’un côté, ça l’arrange d’avoir à s’occuper de moins de personnes, mais, de l’autre, il a besoin d’une masse critique de consommateurs pour rendre les systèmes viables.
Le système d’approvisionnement alimentaire est centralisé. Le gouvernement fera tout pour qu’il y ait de la nourriture dans les supermarchés. Ils ne laisseront pas le système centralisé s’effondrer. Je pense qu’il y a deux choses que le gouvernement fera jusqu’au bout : défendre les frontières et nourrir la population. S’ils ne font pas ces deux choses, alors ce n’est plus un gouvernement.
Mais ces sociétés qui dirigent le système alimentaire centralisé, et qui ont besoin de consommateurs, finiront par considérer les gens autonomes de la périphérie comme une menace. Les gouvernements seront donc en tension, au milieu du jeu de quilles. Et ce n’est pas un plan diabolique élaboré par de mauvaises personnes, c’est juste un problème structurel du système.
PS • Ton dernier livre, Retrosuburbia, est donc une réponse à cela ?
DH • Oui. II y a des pays, dont l’Australie, où l’aménagement du territoire sépare nettement la ville de la campagne, la vie très urbaine de la vie de village. L’idée de Retrosuburbia a été conçue pour ces pays avec de vastes zones résidentielles autour des villes et villages, avec des maisons individuelles et des petits bouts de terrain, et où il est possible d’avoir un certain degré d’autosuffisance.
L’idée est que ces zones n’ont pas besoin d’être restructurées à grande échelle et de manière très complexe, comme c’est le cas dans les zones urbaines denses, où il est difficile de se lancer tant que l’ensemble de la société n’est pas d’accord. Au contraire, dans l’environnement rural, il y a beaucoup plus d’autonomie et de capacité à faire des choses, tout peut être transformé sans trop dépenser d’énergie, progressivement et par les habitants eux-mêmes.
En France, il est donc probable que le livre s’adresse plutôt aux villages et aux petites villes.
J’ai exploré cette piste d’un krach de la demande pour faire s’effondrer le système
PS • Quelle est l’excuse que tu ne voudrais surtout pas donner à tes petits-enfants, sur ton lit de mort ? Ta pire excuse ? [Petit clin d’œil au projet français Sorry children]
DH • [rires] Eh bien… euh… Je suppose que ce serait de prétendre que nous ne savions pas ce qui allait arriver ! [rires] Évidemment, on ne peut jamais savoir ce qui va se passer dans le futur, mais c’est ça que je ressens, c’est ma réponse.
Tout au long de ma vie, nous avons eu la preuve que la vie ordinaire des gens aisés modernes était un crime contre la nature et un crime contre les générations futures. C’était une prise de conscience impossible à vivre. Alors la plupart des gens ont suivi un processus de déni.
Parce que, par définition, la vie ordinaire et quotidienne doit être définie comme bonne. Sinon, on devient fou.
PS • Tu cites l’aphorisme « Collapse now and avoid the rush » (s’effondrer maintenant et éviter la ruée), qui est repris par beaucoup de « collapsniks » [des spécialistes du collapse dans les autres pays, surtout anglo-saxons]. Il fait probablement référence au slogan publicitaire « Achète maintenant et évite la ruée ». Peux-tu l’expliquer pour le cas du collapse ?
DH • J’ai vécu – nous avons vécu – comme si l’eau et la nourriture étaient précieuses. Nous n’allons pas acheter des fruits à l’autre bout du monde. Nous choisissons de ne pas sauter dans un avion pour aller donner une conférence.
Nous agissons comme si nous ne pouvions pas le faire, comme si ces choses n’étaient pas possibles. C’est ça le sens de « collapse now » (s’effondrer maintenant). Il s’agit délibérément de ne plus profiter des avantages de la civilisation industrielle.
Progressivement, d’une contrainte, ça devient un plaisir, une nécessité. Dans un premier temps, choisir de ne pas participer à quelque chose que tu aimes, puis, dans un deuxième temps, en venir à ne plus l’aimer. Ça devient une meilleure manière de vivre. Alors, quand ces choses disparaissent, ce n’est plus un problème.
Par exemple, j’ai vécu toute ma vie en supposant qu’il n’y aurait pas d’aide sociale pour ma vieillesse. Je m’y suis toujours attendu. Je n’ai pas de pension de retraite. Et quand la pandémie est arrivée, notre entreprise a été très affectée, mais nous avons fait une restructuration et nous n’avons pas demandé d’aide au gouvernement.
Bon, il est clair que ce n’est pas la même chose que de vivre un effondrement social généralisé, car tu dois alors faire face à la souffrance des autres personnes, des structures politiques et de tout le reste. Mais c’est quand même une préparation psychologique qui nous amène à rire lorsqu’on voit des gens se battre pour avoir accès au papier toilette ! [rires]
PS • Très belle chute ! David, c’était un honneur, un bonheur. Merci beaucoup pour ton temps et pour tout ce que tu as fait. J’adorerais te serrer dans mes bras… mais ça sera dans une autre vie, peut-être ! [rires]
Pour aller plus loin
- Permaculture One : A Perennial Agriculture for Human Settlements, Transworld Publishers, 1978 (avec Bill Mollison).
- Future scenarios ; How Communities Can Adapt to Peak Oil and Climate Change, Green Books, 2009.
- Permaculture, Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Rue de l’Échiquier, 2014 (la version anglaise date de 2002).
- RetroSuburbia : The Downshifter’s Guide to a Resilient Future Hepburn, Victoria: Holmgren Design, 2018.
- Les livres en anglais ainsi que d’autres infos sont sur le site de David Holmgren