Aurélien David, que l’on appelle à raison Capitaine Chlorophylle, est un chercheur, un sensible et un voyageur. Là où il a appris la rigueur en ethnologie et en photographie, c’est l’expérimentation qui le fait connaître en 2014 avec sa première série « BeLeaf ». Rencontre avec un photographe engagé.
D’abord initié à l’argentique puis au numérique, Aurélien souhaite rapidement s’extraire de la chaîne industrielle des images. La découverte du travail de John Herschel, l’un des pères inventeurs de la photographie du 19ème siècle, vient bousculer ses expérimentations photographiques. En pratiquant l’anthotype, un procédé créant une image à l’aide de matériel photosensible provenant des plantes, Herschel inspire Aurélien qui explorera de son côté l’impression végétale.
Cap sur le pigment chlorophyllien
Sur les rives nantaises, un voilier à la coque rutilante teinte la Loire d’un vert pomme. Pas de doute, c’est Chlorophylle, le bateau-atelier d’Aurélien. Sur l’embarcation, on y découvre le processus de fabrication de l’impression végétale.
L’objectif ? Utiliser une technologie moderne pour arriver à un objet inhabituel grâce à la nature. Pour cela, rien de plus de commun : Aurélien capture des images grâce à son appareil numérique. Il développe ensuite ses photos sur des pochoirs transparents qu’il nomme contretype. Après quoi, il se tourne vers son environnement en cueillant différentes feuilles : tantôt des feuilles d’acanthe tantôt des feuilles de bananiers. À dire vrai, son choix se définit en fonction du portrait qu’il réalise. Pour la série Les Semeurs, qui met en lumière des scientifiques et des penseurs de la crise écologique, le photographe à laisser l’entière liberté au photographié de choisir une espèce végétale.
À titre d’exemple, le portrait de Philippe Descola a été réalisé sur une feuille de roucou, une plante utilisée par les indiens Achuar en Amazonie. Une connotation symbolique pour l’anthropologue qui a vécu plusieurs années à leurs côtés dans les années 70. Une fois les feuilles fraîchement cueillies, il s’agit d’aplatir le végétal et de venir déposer, au-dessus, le contretype. Le tout est de créer un sandwich afin que le végétal soit en contact rapproché avec le pochoir imprimé. L’ensemble, appelé châssis d’insolation, est placé au soleil. C’est à ce moment-là que la magie du pigment chlorophyllien opère.
Pour garantir la préservation de l’impression végétale dans le temps, Aurélien stocke ses créations dans des coffrets, à l’abri de la lumière et de l’humidité. Dans un futur proche, il mettra au point un fixateur afin de montrer ses images sans craindre de les détériorer.
Sensibilité végétale
À la base de sa technique, il y a le végétal. Au-delà de la technique, c’est un besoin vital. « Ça m’est nécessaire d’être en contact avec la nature, sinon j’étouffe ». Aurélien est de ceux qui entretiennent un rapport sensible au monde qui les entoure. « C’est comme un sixième sens. Les images ont une odeur, un volume, j’ai besoin que ça sorte de la planéité, de la surface. » En France, ils sont peu à avoir ce sixième sens. En effet, lorsqu’il découvre ce procédé, ils sont une dizaine dans le monde à pratiquer ces techniques. Et pour cause ! C’est un travail minutieux, nourri par une finesse sans égale et une philosophie d’être.
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Hisse et… autonomie
Chlorophylle, un voilier de 1978, pourrait incarner la philosophie d’Aurélien : autonome en énergie et lent en déplacement. Selon lui, le voilier est un outil de création nomade et écologique qui permet de prendre le temps de vivre et de se mettre au diapason avec la nature. « En voyage en bateau, tu sais précisément ce que tu consommes. Si tu as chargé 300 litres d’eau douce et que tu estimes à une vingtaine de jours ton temps de traversée, tu ne vas pas t’amuser à prendre des douches de 50 litres tous les jours ».
Si Aurélien se saisit du meilleur de ce qu’offre la technologie, c’est dans le but de reprendre le contrôle et de gagner en autonomie. En bateau comme en photo, cette recherche de souveraineté « rend humble car c’est finalement assez exigeant ». En 2024, il prendra le large, direction le Brésil. Là-bas, il continuera sa recherche sur les écovillages, déjà amorcée en Bretagne dans les yourtes du Quilombo de Mané Bihan. En attendant, la traversée de l’océan, à l’instar de celle du désert, remplira sa fonction symbolique : se purifier pour être de nouveau ouvert aux humains.
« Quand tu reviens sur terre après avoir été en mer, tu redécouvres un tas de choses. C’est une sorte de renaissance à chaque fois ».
Faire rêver pour inspirer. Voilà ce qui importe à ce photographe nomade qui ne souhaite pas offrir un modèle unique mais au contraire, ouvrir les imaginaires.