À l’Archipel du vivant, la vie d’un troubadour itinérant

écologiste vie en autonomie

En 2017, Jean-Christophe Anna change radicalement de vie. En 2 ans, il devient à peine yogi et méditant, vegan et anti-spéciste, locavore et minimaliste, effondriste et biorégionaliste. Depuis, il consacre tout son temps, son énergie et son audace à une mission aussi folle que noble : sauver la vie sur la Terre ! Pour cela, il initie en 2020 le grand projet L’Archipel du Vivant. Objectif : faire émerger une nouvelle société respectueuse du vivant, libérée de tout rapport de domination et réellement démocratique. Entretien avec celui pour qui “L’utopie n’est pas l’irréalisable, mais l’irréalisé”.

Escape The City : Quel est le déclic qui t’a poussé à abandonner ta vie précédente pour devenir un troubadour itinérant du collapse ?

Jean-Christophe Anna : Je ne sais pas s’il convient de parler de déclic à proprement parler. Ce qui est sûr c’est qu’il y a clairement un avant et un après burnout, celui que j’ai fait en 2015. J’étais alors patron d’une petite société spécialisée dans l’innovation en matière de recrutement. Nous formions les recruteurs·euses des plus grandes sociétés et des cabinets de recrutement à l’utilisation des médias sociaux pour « traquer » – le sourcing – et « draguer » – le marketing employeur – les talents sur les médias sociaux (LinkedIn, Viadeo, Facebook, Twitter, YouTube…). Si je suis anticonformiste depuis ma naissance et si la lecture de magazines comme Kaizen, Socialter ou We Demain m’avait déjà permis de m’intéresser depuis 2014 aux écovillages, au revenu universel ou encore aux communs, c’est vraiment à la sortie de ce burnout que j’ai entrepris un changement radical,  une bascule profonde. Dans un premier temps, j’ai adopté une meilleure hygiène de vie : yoga, méditation et aucun contact avec un écran 2 heures avant de me coucher et pendant la première heure suite au réveil le matin. Puis, fin 2016, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017, j’entreprends une grande réflexion : Que s’est-il passé entre 1997 et 2017 ? Que nous réservent les 20 prochaines années (2017-2037) ? Ce travail de bilan et de projection débouche sur un premier site web « 2017-2037 : 20 ans pour tout changer ! » lancé en avril 2017. J’y présente 9 grands enjeux avec notamment l’humain face à l’IA et au transhumanisme, l’éducation, l’économie, la finance, la place de la ville et bien entendu la biodiversité et le climat. 2017 est aussi l’année de ces fameux « petits gestes » que j’enchaîne les uns après les autres pour viser le meilleur alignement possible. À l’été, je découvre la puissance de l’intelligence collective sur un projet d’écolieu dont je suis l’un des co-fondateurs. Et à la fin de l’année je tombe sur une vidéo de la série NEXT de Clément Montfort, puis je dévore « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne et Raphaël Stevens. Grâce à ce livre, je comprends que les pièces du puzzle forment un puzzle et surtout… que nous n’avons pas 20 ans devant nous ! En 2018 j’initie un mouvement citoyen à Strasbourg pour éveiller les consciences sur l’effondrement. En 2019, je lance un nouveau site web « Effondrement & Renaissance » qui sort au même moment qu’Yggdrasil dont l’accroche est alors « Effondrement & Renouveau » ! 😉 La même année, je liquide ma société – impossible de continuer à servir des entreprises à l’origine des problèmes que je dénonce – et je fais la rencontre des deux incroyables frangins avec lesquels je vais co-fonder notre ONG L’Archipel du Vivant quelques mois plus tard.

Lire aussi : dealeur de résilience, un métier d’avenir ?

Début 2020, alors que je suis en pleine écriture de mon livre « Le climat n’est pas le bon combat ! », la tête de liste d’une liste citoyenne aux Municipales à Strasbourg, me sollicite pour rédiger un document d’une vingtaine de pages sur la résilience d’une métropole par rapport aux risques systémiques. Finalement, je me retrouve à écrire la moitié du programme, à concevoir le site web de la campagne et à animer les médias sociaux. À l’époque, je sais déjà que la résilience d’une grande ville, a fortiori d’une métropole, est une vue de l’esprit. Comme j’ai carte blanche, j’imagine les mesures les plus audacieuses, non pas celles qu’il faudrait mettre en place, mais bien celles qu’il aurait fallu réaliser il y a 50 ans si nous avions voulu que Strasbourg soit résiliente un jour, si tant est que ce soit réellement possible… Début 2021, je pars seul en éclaireur – mon épouse refusant de suivre reste avec nos deux enfants à Strasbourg – pour anticiper l’effondrement que je pressens proche, pour ne pas dire imminent. Je déménage pour le Périgord-Vert afin d’y co-créer avec 9 autres personnes un écovillage. Je passe d’un appartement de 140 m² en plein centre de la capitale européenne à une Tiny house de 23 m², volontairement très dépouillée, sans eau ni électricité. Le PFH – Putain de Facteur Humain – fait des siennes et je quitte le projet et le lieu au bout de 4 mois après y avoir laissé beaucoup d’énergie. Si j’ai alors du mal à digérer cet échec, je me vois surtout rattrapé par la dimension ô combien sacrificielle de ce choix de vie qui me prive de mes enfants de 15 et 10 ans que je ne vois plus que 7 jours par mois. Je réalise qu’ils me manquent trop et que je leur manque trop. C’est ainsi, qu’après un gros passage à vide de deux mois, je reprends un appartement à Strasbourg – mon couple n’a pas résisté à ma bascule aussi rapide que radicale – en septembre 2021. Depuis, je suis devenu nomade ou « troubadour itinérant » pour reprendre ta formule, en alternant une semaine sur deux dans l’enfer urbain pour y voir mes enfants et l’autre semaine dans la ruralité alternative pour me ressourcer, découvrir des initiatives et imaginer le monde de demain.

ETC . En tant que troubadour itinérant, quelles sont les actions concrètes que vous entreprenez pour sensibiliser les gens à l’effondrement écologique et social ? Quels sont les messages que vous cherchez à transmettre ?

JCA . Si j’ai consacré un site web et un livre à l’effondrement civilisationnel, le cœur de mon message, ma toute première préoccupation est l’extermination du Vivant qui est sans nul doute à mes yeux la plus grande et la plus grave des catastrophes. C’est le même message que porte L’Archipel du Vivant. Alors que la quasi totalité des activités humaines sont écocidaires, la très grande majorité – y compris au sein des écolos – réduit la gravité de la situation écologique au seul climat. Autrement dit, nous nous concentrons sur le symptôme au lieu de traiter le mal à la racine. Car, notre confort est sacré et il est bien plus facile de verdir la croissance économique ou de faire la promotion d’énergies soit-disant propres, que de remettre en question la quadruple dimension mortifère – extractiviste, productiviste, consumériste et « déchetiste » – de notre civilisation. Il n’y a pas de solution magique et notre salut ne viendra pas de la technologie, bien au contraire. Non, la solution, c’est nous ! C’est la raison pour laquelle j’ai intitulé mon dernier livre
« Écrivons ensemble un nouveau récit pour sauver la vie ! ». L’utopie que nous portons est celle de la biorégion : comment habiter autrement la Terre en respectant le Vivant, en nous libérant des rapports de domination et en expérimentant la seule et véritable démocratie.

Pour diffuser ce message, nous intervenons sur des conférences, des tables rondes, nous animons des ateliers et nous participons à plusieurs événements engagés tout au long de l’année. En cette fin d’année 2023, nous travaillons, avec le réseau des Territorialistes et en collaboration avec le Mouvement pour une société écologique post-urbaine, sur la conception d’un Mooc dédié à cette dynamique biorégionale. La première session commencera tout début 2024. Nous comptons déjà plus de 200 inscrit·e·s (https://framaforms.org/pre-inscription-au-mooc-bioregion-comment-habiter-la-terre-autrement-1693755803). Enfin, nous avons également le projet de lancer l’an prochain un jeu grandeur nature dans les territoires, toujours avec la même ambition d’impulser cette dynamique biorégionale post-urbaine partout.

ETC . Comment tu vis au quotidien en tant que nomade ? Quelles sont les principales difficultés que tu rencontres dans ce mode de vie, et comment les surmontes-tu ?

JCA . J’ai la chance de profiter d’un capital qui me permet de dédier mon temps et mon énergie à cette folle aventure de L’Archipel du Vivant. L’alternance urbain/rural fait aujourd’hui partie de mon équilibre. Je passe forcément beaucoup de temps dans le train, mais je ne rencontre pas de réelles difficultés. Tout au plus une petite frustration, celle de passer au final plus de temps en ville qu’en milieu rural, puisque les semaines avec mes enfants sont complètes, lorsque celles à la campagne se retrouvent nécessairement tronquées par les trajets. Et peut-être aussi un contraste entre la joie que je prends à rencontrer de nouvelles personnes très engagées, à découvrir de nouvelles initiatives alternatives dans les territoires où je me rends et le temps trop réduit que je passe dans mon cocon, mon nid douillet, ma Tiny : à peine une semaine par mois en moyenne. Dans ce mode de vie nomade, le plus délicat est le retour en ville tous les 15 jours, en gare de Strasbourg où systématiquement, je prends cette petite « claque » de l’hérésie métropolitaine : les écrans publicitaires vidéos, les militaires de l’opération Sentinelle qui patrouillent – 10 000 en France depuis les attentats de 2015 –, la circulation automobile, la sur-consommation et… mes proches qui, à quelques exceptions près, vivent complètement hors-sol. Mais, rien de mieux finalement pour rester lucide !

ETC . En tant que troubadour itinérant du collapse, as-tu vécu des expériences inhabituelles ? Peux-tu partager une anecdote mémorable ou une rencontre inspirante qui a renforcé ton engagement en faveur de la sensibilisation à l’effondrement écologique et social lors de tes voyages ?

JCA . La rencontre la plus inspirante est clairement celle avec Alain Damasio ! J’ai énormément apprécié son spectacle « Entrer dans la couleur » (https://www.entrerdanslacouleur.com/) dans lequel il clame, il interprète sur scène des passages de son dernier roman « Les Furtifs », accompagné par le guitariste Yan Péchin. J’ai eu la chance de le voir ou plutôt de l’écouter à Antibes, de fermer les yeux et de plonger dans son univers. Si je connaissais bien sûr l’homme public, je n’avais lu aucun de ses romans. Emporté par son art inouï du récit, j’ai été touché par son amour pour le Vivant à qui il a rendu un incroyable hommage dans un puissant et vibrant slam à la fin du spectacle. J’ai alors acheté « Les Furtifs » pour qu’il me le dédicace et nous avons échangé. Je l’ai remercié pour la force de son message et félicité d’avoir créé L’école des vivants, ce formidable lieu situé dans les Alpes de Haute Provence. Il a pointé mon badge, celui de L’Archipel du Vivant, en me demandant : « C’est quoi ça ? L’Archipel du Vivant ? Waouh… ». Après lui avoir présenté la mission de notre ONG, il m’a invité à passer quelques jours à L’école des vivants et je lui ai offert mon badge qu’il a porté le reste de la soirée. Deux mois plus tard, nous lui rendions visite, Mathieu, co-fondateur de L’Archipel du Vivant, et moi. Dans ce lieu magique sont nés deux projets, le premier est le Mooc dont j’ai parlé. Le second est une formation en présentiel, sorte de déclinaison offline du Mooc biorégions avec Alain, chez lui à L’école des vivants, en 2024. Depuis, alors que je ne suis pas du tout supersticieux, je touche régulièrement du bois pour que ce projet se réalise. L’été dernier, j’ai dévoré ses 3 romans que j’ai lus dans l’ordre exactement inverse de leur publication : « Les Furtifs », « La Horde du Contrevent » et « La Zone du Dehors ». Quelle joie de plonger dans ces récits aussi extraordinaires que visionnaires !

Peu de temps après notre première rencontre à Antibes, Alain Damasio est passé sur le plateau de Blast pour une interview avec Paloma Moritz. À la fin de leur échange, il a merveilleusement illustré toute l’ambition de L’Archipel du Vivant : « Il faut réussir à expérimenter dans des zones localement, réussir à trouver des zones dans la plaque d’argent du capitalisme, faire des plaques de rouille pour développer ces expériences-là et qu’il y en ait le maximum. Et après, il y a un temps, et c’est le problème je trouve de ces communautés aujourd’hui, dans les ZAD, les ZAG, les Oasis, peu importe le nom qu’on leur donne, c’est qu’il n’y a pas assez de temps qui est passé dans le lien entre les autres îlots de l’archipel. […] Il manque un espace temps pour aller croiser, tisser. » J’ai le sentiment que nous sommes clairement connectés !

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