Le réanimateur Louis Fouché est-il collapso ? J’ai voulu répondre à cette question, en regardant son documentaire « Tous résistants dans l’âme » (réalisé par Stéphane Chatry) et en l’interviewant.
Ce film va à la rencontre de 25 personnalités, pour parler de permaculture, d’autonomie, d’écologie, d’alimentation, de médecine intégrative, de monnaies libres, etc.
On y croise, notamment, Bernard Bertrand – créateur des éditions et du magazine Terran – le permaculteur corrézien Damien Dekarz, le bricoleur Barnabé Chaillot, l’artiste plasticien Malachi Farrell, l’architecte Sonia Cortesse…
Pourquoi interviewer Louis Fouché ?
J’ai hésité à faire cet entretien, par peur de provoquer une « tempête de bouse », comme on dit. « Quoi !? Un anti-vax complotiste d’extrême droite dans Yggdrasil ?! Mais c’est terrible ! ».
Et je me suis dit qu’un complotiste notoire ne retourne pas à la Fac pour écrire un mémoire sur d’anthropologie de la technique en Santé, sous la tutelle d’un professeur émérite (Pierre le Coz).
J’ai aussi lu une déclaration de Louis Fouché, dans laquelle il affirme s’être inspiré de La Belle Verte, de Coline Serreau. Et, je m’avance peut-être en disant cela, mais je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de fieffés réactionnaires d’extrême-droite qui se passionnent pour l’œuvre de Coline Serreau.
Enfin, la présence au casting du film de notre ami Barnabé Chaillot – qui tenait la rubrique low-tech de la revue Yggdrasil – m’a profondément rassuré. Barnabé n’est pas du genre à se faire manipuler.
Par conséquent, c’est en conscience que j’ai proposé à Louis de parler de son film et de bien d’autres choses, pendant plus d’une heure. Voici quelques extraits (mis en forme) de cet entretien, dont nous préparons une version sonore intégrale.
Je vous laisse juger sur pièce ! Bonne lecture.
Nous commençons sur une réflexion autour de la médecine, de la tech et de l’éthique.
Louis Fouché : Je suis médecin réanimateur. La réanimation c’est une spécialité très high-tech. On utilise beaucoup de machines, beaucoup d’énergie pour réussir à réanimer quelqu’un (respirateurs, seringues électriques, machines de dialyse…). C’est une débauche énergétique qui sera impossible en cas de pénurie énergétique.
Grâce à toutes ces technologies, le réanimateur a une impression de toute puissance. Je claque des doigts : j’ai un scanner, un cathéter de dialyse, une voie centrale, un cathéter artériel, un drain thoracique. La technologie va suppléer aux fonctions vitales du patient. En gros, il y a une modélisation simpliste qui postule que pour rester en vie, on a besoin de 6 fonctions vitales (respiratoire, neurologique, rénale, hépatique, digestive et hématologique). Nous, ce qu’on va faire, c’est remplacer ces fonctions vitales par de la technique.
Pour moi, le patient en comas artificiel, c’est un miroir de notre société, dont l’ensemble de ses institutions ne tient plus que par des apports massifs d’énergie et des technologies qui sont en réalité une prédation du vivant.
Or, en réanimation, on apprend que si le patient reste branché aux machines trop longtemps, il en meurt. Le chemin de la guérison, c’est celui de la déconnexion. On enlève le respirateur, la machine de dialyse, la noradrénaline, les cathéters…. On renvoie le patient dans la vie quoi !
Et pour moi, on est en plein dans ce moment-là, où la société doit absolument être débranchée de la pieuvre technique, si elle ne veut pas mourir. C’est une image un peu forte que j’essaie de dresser là, mais c’est notre société.
J’ai longtemps cru à la toute puissance de ma spécialité. Sans problème éthique.
Si c’était techniquement faisable, je le faisais. Maintenant je me demande : est-ce que ça a un sens ? Cette prise de conscience m’a poussé à faire des études d’anthropologie de la santé et de la technique. Pour réfléchir à la question des systèmes techniques et de leurs interactions avec les systèmes humains.
J’ai compris que la maladie, c’est une injonction à changer. Sauf que, dans notre système, on ne change pas. On prend des béquilles, un médicament et on continue. Notre santé, c’est du maquillage. Aujourd’hui, la première cause de mortalité, c’est l’intoxication médicamenteuse aux morphiniques. On préfère se mentir à nous-même et continuer dans le déni et le statu quo.
Yggdrasil : et selon toi, pourquoi le changement est-il si difficile et si lent ?
LF : Parce que l’on attend que quelqu’un vienne nous sauver. Mais il n’y a pas de sauveur. C’est le triangle dramatique de Karpman ! La victime, le bourreau, le sauveur. Beaucoup de gens sont dans cette idée qu’ils sont la victime d’un bourreau, et attendent un sauveur. Mais, le lendemain, il se retrouvent être le bourreau d’un autre qui attendra un sauveur.
Y : en effet, ça explique assez bien la logique du vote Le Pen parmi les classes populaires.
LF : Voilà pourquoi notre société doit sortir de ce triangle de Karpman.
Y : toi-même tu en as pris plein la gueule, tu n’es jamais tombé dans le piège de ce triangle dramatique ?
LF : C’est vrai que, depuis trois ans, j’ai plus de boulot, plus de salaire, ma femme non plus. On est suspendu, on a été traînés dans la boue, je peux te le dire : on s’est pris une sacrée vague…
Y : et tu n’es pas en colère ?
LF : Non, je ne suis pas en colère. Je ne veux pas vivre ça au quotidien. Si je passe ma vie à être en colère, je vais me bouffer le foie, je vais me bouffer l’estomac, je vais finir avec un ulcère, un cancer du cul. Je suis pas un homo Twitter, qui croit qu’en aboyant ça va passer. Moi je préfère être un homo faber : je suis là pour faire ! Et, je vais te dire, j’ai jamais autant rigolé, j’ai jamais autant découvert de choses, j’ai rencontré autant de personnes. Pour moi, c’est une période absolument fascinante d’ouverture et de créativité. J’ai écrit trois bouquins, j’ai fait un film. Avant j’aurais pas pensé que c’était possible ! Normalement, je devrais avoir une belle baraque avec piscine, un gros salaire et espérer une retraite tranquille. Mais rien de tout ça ne m’intéresse plus. Moi, ce qui m’intéresse maintenant, c’est d’étudier le monstre.
Y : « Le monstre » ?
LF : Oui, je cherche les failles du système. À quel endroit je vais pouvoir le faire craquer. Et il y en a plein des failles, partout. Ces failles, c’est les “communs”. L’énergie, l’eau. Si tu travailles ton autonomie – j’ai pas dit autarcie, mais autonomie – tu peux te passer d’Engie, de Véolia, etc… Et tu leur retires du pouvoir.
Y: oui, mais cela demande que chacun s’y mette ! Or, c’est difficile de provoquer le changement chez les autres ?
LF : Pendant des années, j’ai essayé de parler d’environnement à ma famille, à mes copains. Ils me répondaient “Ah tu nous gonfle en plus c’est culpabilisant ton truc, on fait bien ce qu’on veut !” C’était presque même contre-productif, c’est-à-dire qu’ils allaient consommer encore plus de plastoc et de sucre parce que je leur disais que, peut-être, on pouvait faire autrement. Donc je me suis rendu compte que c’était complètement inopérant. Et qu’il fallait que je trouve autre chose. Et là je me suis rendu compte que, si je me mettais à faire et qu’ensuite j’invitais mes amis dans mon univers, dans ma famille, avec les poules, les abeilles au fond du jardin, les enfants qui jouent dans la boue, les toilettes sèches, et le potager au fond, je pouvais leur montrer que c’était joyeux, rigolo et leur donner envie d’y prendre une part. Et ça a marché !
Par une espèce d’exemplarité et de porosité progressive, finalement j’ai beaucoup plus convaincu de gens que par le discours !
Et tu vois le film, Tous résistants dans l’âme, il est fait pour ça. On ne parle pas du COVID : on parle des gens qui font des belles choses, qui donnent envie. Que ce soit Barnabé Chaillot ou Damien Dekarz. Ça donne envie ! Et pour moi, mieux vaut construire des institutions désirables, des points de repère communs, plutôt que d’essayer de détruire le système. Le système, il se détruit très bien tout seul, et de manière accélérée !
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Y : Convaincre par l’exemple, c’est ça ?
LF : Oui, et il y a aussi la méthode du non-agir ! Dans la voie de Gandhi, ça commence par du boycott, mais le boycott tout seul, ça ne peut pas marcher. Donc la première chose à faire c’est de regrouper des gens. Et pour regrouper des gens, il faut trouver ce petit espace commun de confiance. Tout seul, t’es tout petit, tout faible, t’es une pauvre petite fourmi face à la grande machine.
Je sais qu’il y a cette tentation de sortir du système et d’entrer dans l’autonomie. De se soigner tout seul, d’être autosuffisant sur l’éducation. Mais à chaque fois, ce rêve de tout faire seul bute sur le réel.
Si tu négliges le système administratif, tu te fais rattraper par lui ! Tu finis par t’enfermer dans une bulle de folie survivaliste, au fond d’un bunker avec tes 45 000 cartouches de fusil…
Y: Alors comment on sort de la matrice ?
Louis Fouché : Certainement pas en lui faisant la guerre. La guerre c’est la volonté d’éradication de l’ennemi. Tu veux défoncer le système, tu veux défoncer Macron, tu veux défoncer Bill Gates, c’est une illusion : tu vas te faire défoncer au passage. Si tu vas manifester devant l’Élysée, tu te feras fracasser. C’est sacrificiel. L’éradication de l’ennemi est une illusion parce que c’est l’éradication de toi-même, en miroir. En revanche, combattre, c’est autre chose. Le combat peut-être non violent. Il faut lire Masanobu Fukuoka (La Révolution d’un seul brin de paille). Tu y comprends que le combat non-violent, ce n’est pas une voie facile. Souvent, tu peux avoir de la colère, tu vas avoir envie de mettre un coup de boule à celui qui est dans le déni. À ce moment là, il faut penser que l’essentiel c’est de tisser du lien avec d’autres pour être suffisamment nombreux et provoquer le changement. Moi, très concrètement, j’ai trouvé une nouvelle en rejoignant des collectifs, notamment avec mon film « Tous résistants dans l’âme ».