Dans son dernier livre, « N’ayez pas peur du collapse » (2020, ed Desclée De Brouwer), écrit avec Loïc Steffan, le psy Pierre-Eric Sutter veut nous rassurer. Il appelle à laisser aller le monde d’avant, pour accepter le collapse et embrasser une nouvelle vision du monde, durable, solidaire et résiliente. La nouvelle voie de la sagesse ? On lui a posé la question.
Nous sommes tous les deux en chemin, entre Paris et l’Ouest de la France. Je suis gare St-Lazare, dans l’attente du TER retardé qui me ramènera dans l’Eure. Pierre-Eric Sutter (PES pour les intimes) est dans sa voiture, piégé par les bouchons, sur la route du retour entre Paris et Angers. Nous sommes deux « lost-in-transition« , à la recherche d’une porte de sortie vers le monde d’après.
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ETC : D’après-vous la COVID-19, c’est le début de l’effondrement ?
PES : Non le COVID n’est pas un effondrement. C’est un effritement. Avec le confinement, le gouvernement a sauvé les meubles. Il a répondu à la peur des gens. Il y a eu cette volonté de protéger les citoyens. Ça a été un moment de stupeur. On se pensait immortel, indestructible, mais on était surtout hors-sol. Et là, on a redécouvert qu’inspirer pouvait nous faire expirer. Soudain, ça a été un « retour du refoulé ». On a mobilisé toutes nos ressources : on a fait face, on a fait du coping.
Qu’est-ce que le coping ? De l’anglais « to cope with » (« faire face à ») ce terme de management désigne les processus qu’une personne ou une organisation peut déployer pour maîtriser un événement inquiétant, voire dangereux. Bref, on fait avec !
Tout commence par une crise de confiance ; et ça finit par une prise de conscience.
Selon vous, qu’est-ce qui différencie un collapso « en transition », d’un parano obsédé par l’apocalypse ?
Ahah ! Je dirais que le parano subit un délire de persécution. Il est victime d’une névrose obsessionnelle. Alors que le collapsonaute est entré dans la métanoïa. Il a élargi sa vision du monde. Les Allemands parlent de Weltanschauung, de « conversion du regard ». On pourrait aussi parler d’éveil.
La collapsologie a fissuré notre vision du monde, pour entrer dans une nouvelle (vision). Mais cette vision n’est pas celle d’une apocalypse, simplement le récit de la fin d’un modèle. Tout commence par une crise de confiance ; mais ça finit par une prise de conscience. Le collapsonaute que je suis ne croit plus dans le « croître ». Mes illusions ont pris fin. L’apocalypse – qui signifie révélation – elle, a déjà eu lieu… mais dans ma tête. Je suis déjà passé à autre chose. Au monde d’après.
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Quand on vous écoute, on a l’impression que l’effondrement est presque une mystique, un dogme, une croyance…
Je ne dirai pas cela, car les collapsologues n’utilisent pas les outils de la religion pour formuler leur pensée, mais ceux de la science. Ils ne font pas de prophéties (comme le calendrier Maya), mais ils se basent sur des scenarii – à la manière du GIEC.
Je pense même que les transhumanistes ou les techno-salvateurs sont plus dans la croyance et le religieux que les collapsos. Ceux qui parlent d’effondrement ne sont pas des prophètes de malheur : il expliquent simplement, preuves à l’appui, que si l’on ne prend pas conscience des défauts de notre mode de vie, et si l’on en change pas… on va probablement vers un effondrement. Le collapso ne prédit pas l’avenir. Il s’y prépare. Nuance !
Au passage, l’auteur nous recommande le système de « supermarchés alternatifs » et coopératifs monepi.fr. Assez proche d’une AMAP, ce dispositif tente de regrouper tous les organisateurs de circuits-courts sur un territoire. Malin !
La conscience d’un effondrement imminent a-t-elle changé votre vie ?
Totalement. D’abord, je remarque maintenant des détails que je ne remarquais pas avant. Par exemple, je n’ai plus un seul insecte sur le pare-brise de ma voiture. Et ça, ce n’est pas normal. Ça devrait secouer tout le monde… et pourtant.
Et puis, je suis en train de quitter Paris pour Angers, où j’ai un projet de ferme partagée. J’isole une maison de campagne pour me réapproprier mon autonomie énergétique. Dans mon jardin, je plante des figuiers plutôt que des pommiers. Mais je ne suis pas déprimé, au contraire. Je sais qu’il y’a une vie après le collapse : je m’y prépare et j’entre en résilience. Se préparer à l’effondrement peut être positif. C’est une « passion joyeuse », comme disait le philosophe Spinoza.
Retrouvez P.E.S. dans son « Requiem pour les temps futurs », composé avec Julien Chirol. Une messe punkollapso qui convoque l’intelligence artificielle pour parler de finitude et d’effondrement. On se regarde un extrait ?