L’arrogance de la France moderne envers les “paysans” et leurs “patois”

Les récentes protestations et revendications du monde agricole ont, une fois de plus, mis en lumière les différences profondes entre le monde rural et le monde urbain. Zoom sur la fracture entre “ploucs” et “branchés”.

La France moderne a été construite depuis Paris, siège de la puissance politique, en développant un sentiment de supériorité de la capitale sur « la province » et des villes sur les campagnes. Les normes sociales valorisées ont donc été celles, urbaines, de la ville-capitale érigée en phare de l’État hypercentralisé. On le voit, par exemple, dans le fait qu’en français, le mot urbain a le double sens « de la ville » et « poli, courtois » et que le mot paysan a le double sens de « rural, agricole » et « rustre, grossier ».

La capitale, ses bourgeois et leur parlure

À partir de la Révolution française, la langue de la capitale est imposée à l’ensemble des populations progressivement rattachées à la France. Par opposition à toutes les autres langues et aux “patois régionaux”, le français des classes supérieures parisiennes est prescrit comme unique modèle d’expression.

La prétendue supériorité universelle du français est régulièrement reprise dans les discours étatiques jusqu’à aujourd’hui, par exemple par le président de la République lui-même lorsqu’il inaugure la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts le 30 octobre 2023 : “le français devient alors, la langue de nos lois, de nos textes, la langue de la justice, et elle devient alors symboliquement et réellement ouverte à la compréhension de tous et non plus réservée simplement aux clercs et aux lettrés.”

Les “patois” grossiers à éradiquer

Qu’en est-il des autres langues de France, appelées ainsi depuis 1999 ? Ces langues étaient aussi celles des villes. À Marseille, le provençal – langue générale jusque dans les années 1920 – était parlée par des intellectuels comme Frédéric Mistral qui reçut le prix Nobel de littérature pour son œuvre entièrement écrite dans cette langue. Disqualifiées par le nom de “patois”, dont l’origine vient du verbe “patoiller” qui signifie “marcher dans la boue, barboter, patauger”, les langues de France étaient perçues comme des langages corrompus et grossiers, celles des “paysans et des enfants qui ne savent pas encore bien prononcer”.

À la création de la 1re République française, ses responsables considéraient ainsi que dans les provinces, on parlait « ces jargons barbares et ces idiomes grossiers » à « éradiquer » (Rapport Barrère, publié en 1794). À l’époque où les provinciaux, les ruraux et leur langue n’étaient pas sujet à l’étude scientifique, ces derniers subissaient un mépris sans borne. La sociolinguistique, qui se développe à partir des années 1950-1970, a montré par la suite que toutes les langues sont égales (y compris celles dites « patois » ) : aucune n’est supérieure ou inférieure à une autre en raison de ses caractéristiques proprement linguistiques. Ce sont les hiérarchisations sociales qui se reflètent en hiérarchisation des langues ou de leurs variétés locales ou sociales particulières.

Être plouc et en être fier

Mais qu’est-ce qu’un “plouc” ? Aujourd’hui encore, il se reconnaîtrait principalement par des caractéristiques linguistiques comme son accent, sa langue et sa prononciation. Le “plouc” laisserait transparaître, à travers un français pourtant adopté, des mots locaux et des expressions qui trahiraient sa condition de “paysan”. Cela lui coûterait préjugé voire hostilité dans des discours comme celui de Michel Onfray dans une chronique publié au Monde : “[…] de sorte que la multiplicité des idiomes constitue moins une richesse qu’une pauvreté ontologique et politique.

Ces idées préconçues, qualifiées de glottophobes envers une personne ou un groupe ayant une linguistique différente de la sienne, sont contrebalancées dans l’ouvrage “Plouc Pride” écrit par la géographe Valérie Jousseaume. Après avoir étudié les campagnes pendant plus de 25 ans, elle entend redonner la superbe à ces “ploucs” en déconstruisant les cadres de pensée et les vocabulaires, pour sortir la “France périphérique” du cul-de-sac intellectuel où elle se trouve.

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