« L’aventure, c’est d’aller voir à l’intérieur » David Manise, au service de la vie

David Manise, au service de la vie
@Tony Hayère

« Plus les conditions sont dures, plus les gens sont dans le lien et l’entraide ». David Manise prône la reconnexion au milieu naturel et à soi pour mieux vivre avec les autres. Une sacrée rencontre avec Pablo Servigne.

Il est très costaud, il a le crâne rasé et plein de tatouages. Il a 44 ans et anime des stages de survie depuis plus de 15 ans. C’est le plus connu des « survivalistes » français… – Ah non ! Quand on lui dit ça, David Manise se crispe.

Rectifions donc : c’est le plus connu des formateurs de stages en « gestion du risque en milieu naturel ». Bien présent sur le web (avec son blog sympa et le grand forum sur la survie), il a aussi créé le Centre d’Études et d’Enseignements des Techniques de Survie (le CEETS), avec une équipe de six formateurs et publie en ce moment pas mal de beaux bouquins pour rendre compte de toute cette expérience.

Je ne sais plus comment nous nous sommes contactés, il y a quelques mois. On a commencé à s’échanger des SMS très marrants, à se dire qu’on se verrait bien pour de vrai, à se rendre compte qu’on avait des amis en commun et surtout qu’on n’habitait pas loin l’un de l’autre.

Un jour, il m’a envoyé son dernier livre, La Vie est injuste, et à la fin tu crèves. Comme je commençais à connaître le personnage, ni une ni deux, je l’ai ouvert, puis dévoré. Loin des clichés survivalistes, j’y ai trouvé une provocation sympathique, une autobiographie pleine de sagesse, d’humour, d’entraide et surtout d’amour. De loin, il fait le gros méchant, et de près… il fait littéralement 2m3 ! Quand on lui dit ça, il ajoute « … de tendresse ».

C’est en allant le voir chez lui que j’ai connu sa compagne, Aurélie Verdon. Elle me rappelle un peu le public d’un concert de punk, avec ce mélange de dureté et de fragilité, de méfiance et de générosité. On sent l’expérience, pour ne pas dire la galère. Ils ont une voix tranquille et posée, et beaucoup d’humour.

À chaque fois que je suis allé chez eux, dans un petit hameau en pierre, un peu à l’arrach’, au milieu d’une magnifique campagne drômoise, j’y ai toujours vu plein d’enfants. Ensemble, ils ont créé 3volution, un site où ils proposent depuis un an de nouveaux stages.

Pablo Servigne, David Manise et Aurélie Verdon
@Cyrille Choupas

PABLO SERVIGNE
Merci, David et Aurélie, de m’accorder un peu de temps et de me recevoir. Racontez-moi d’abord un peu votre parcours. Il est… euh… comment dire… un peu sinueux, non ?

DAVID MANISE
[rires] Oui, je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit. Je suis né à Bruxelles. Ma mère est partie avec moi au Québec, où j’ai grandi. Le sauvage, la forêt… Pour moi, le mode normal, ce n’était pas la vie avec toute la pub et la technologie, le confort et l’assistanat. C’était le sauvage et les pannes de courant de plusieurs jours en hiver. Après, je me suis éloigné de ça en faisant des études d’anthropologie, en ville.

J’ai fait un petit détour dans le journalisme et l’informatique, pour une boîte d’ e-learning au Québec, puis à Villeurbanne, à faire des sites Internet, entre la cité et le périph’.

Mais c’est clair que c’était pas le sauvage dont j’avais besoin. Alors je suis revenu dans la nature, avec les stages.

PS • Ce que j’aime bien avec toi, c’est que tu es hybride, entre l’action et la réflexion. Entre des stages très concrets et beaucoup d’écriture.

DM • J’aime pas m’ennuyer dans la vie. Je ne peux pas juste écrire, j’ai besoin de m’impliquer dans le concret, de sentir la forêt, d’être dans le réel et pas seulement dans le mental. Enseigner dehors, ça permet de faire les deux.

PS • Et Aurélie, quel est ton parcours ?

AV • Il est sinueux, mais différemment. On a en commun ce lien à la nature. J’ai grandi en Suisse à la campagne, en altitude, dans une région froide. J’ai été éduquée par des parents qui avaient une vision plutôt d’autonomie et de décroissance.

J’avais une connexion intuitive que je ne pouvais pas nommer, mais il n’y avait pas d’espace pour la spiritualité dans ma famille. J’ai reçu une éducation très cartésienne : ce que tu ne vois pas n’existe pas. Et pourtant, quand j’étais enfant, il y avait plein de choses que je voyais qui me semblaient exister, mais qui n’avaient pas de place dans mon éducation. J’ai fait le chemin inverse de David.

Moi, je planais à 3000, et c’est la réalité qui m’a ramenée dans la matière. Les choses violentes de la vie, les deuils, la mort, la violence… C’est pour ça que j’ai commencé très jeune à faire de l’accompagnement en fin de vie. À 15 ans, je travaillais déjà à l’hôpital. J’ai eu besoin de me confronter à des choses hyper terrestres pour faire la paix avec la vie et la mort, avec les limites.

PS • Aurélie, tu as fais les stages de survie avec David ?

AV • Juste un, il y a deux semaines !

PS • Donc, votre truc, c’est d’organiser des stages. De quoi déjà ? De survie ? [rires]

DM • Oui, j’aime pas le mot survie, même si c’est comme ça que je les appelle. Mes stages, c’est plutôt de l’« autonomie nature » ou de la « gestion du risque en milieu naturel ».

Les stages qu’on fait avec Aurélie, c’est l’étape d’après.

En fait, tous les stages de survie très terrestre et concrète, ce que je fais depuis 15 ans, ça m’a amené à réfléchir à la coopération, à l’entraide, à comment on interagit les uns avec les autres en situation de survie.

PS • Mais attends, pas trop vite… Donc, depuis le début, tu proposes des stages ici en France. Parce que tu sens les gens trop « hors-sol » ?

DM • En quelque sorte. Tu vois, j’ai une espèce d’éthique minimaliste à la con qui dit : « Si ça prolonge la vie, c’est bien, si ça la raccourcit, c’est mal. » C’est hyper basique. Je voulais faire un truc bien. Faire des sites Internet, ça prolonge pas la vie, tu vois.

J’avais aimé, quand j’étais secouriste au Québec, être impliqué dans un truc qui prolonge la vie. Et c’est ça qui donnait du sens à la mienne. Le virtuel et le béton, ça m’a fait dépérir. J’avais besoin de m’exprimer, d’aller vers mon tropisme, la nature.

PS • Comme tu le dis dans ton livre, tu es né 1.000 ans ou 10.000 ans trop tard…

DM • Ouais, c’est un peu pour rire que je dis ça, mais il y a une sorte de nostalgie de l’humain sauvage dans ce qu’il avait de bon. Il y a aussi du bon dans l’entraide à grande échelle, je ne le nie pas. Mais je trouve que ça fait trop longtemps qu’on peut se permettre d’être inadaptés au milieu naturel.

Collectivement, on est aujourd’hui super forts, mais individuellement, on a perdu plein de ressources d’autonomie et d’individualité, qui manquent vraiment à notre système d’entraide élargie.

Je pense qu’on gagnerait à se ré-autonomiser pour pouvoir partager à nouveau ces ressources individuelles dans le collectif.

On voit souvent l’individualité comme antinomique du collectif, mais moi je ne le vois pas comme ça. Un individu compétent, fort, épanoui, heureux, en lien, etc. va être une sorte de pilier pour le collectif. D’abord être soi, d’abord se réaliser, pour pouvoir faire profiter au collectif de qui on est.

PS • En 2003, tu as donc créé le CEETS. On peut voir dans la charte que vous privilégiez « la vie plutôt que les impératifs commerciaux », ainsi que « la santé et la sécurité des stagiaires en évitant les activités extrêmes ou sensationnalistes », et vous précisez « en respectant la démocratie, sans jamais se livrer à des activités paramilitaires ou séditieuses ». Du coup, quel genre de public vient aux stages du CEETS ?

DM • Mon public, c’est tout le monde. N’importe quelle personne qui a besoin de ne pas mourir dehors. [rires]

PS • Que cherchent-ils dans ces stages ?

DM • À se réapproprier des compétences et des savoirs. Et à se ré-ensauvager un peu.

PS • Qu’est-ce qui t’a motivé, au début ?

DM • Quand j’étais gamin, je passais ma vie dehors, tout simplement.

PS • Tu as été un pionnier, en France, de ce qui s’est ensuite appelé le mouvement survivaliste, non ?

DM • Oh non… Je ne me sens pas du tout en phase avec ce mouvement. Déjà, parce que c’est un mot en « -isme ». Je ne vois pas pourquoi on ferait un mouvement ou une idéologie d’un jeu de compétences.

Oui, il y a forcément une posture politique implicite dans mon truc : de l’autonomie qui ensuite se rediffuse dans le collectif. Mais je n’ai pas envie d’en faire quelque chose de politique. Tu vois, je me considère plus comme… je vais te piquer l’idée, mais je dirais un survivologue ! [rires]

PS •  Ce n’est pas mon idée, elle est dans l’air.

DM • Alors admettons que ce matin, juste maintenant, là, on invente la discipline : la survivologie…

PS • Voilà, c’est fait [rires]

DM • Ce serait un truc super transdisciplinaire, super ouvert, super intégratif, où tu vas chercher autant la botanique, la météorologie, la métallurgie et la forge que la médecine, la biologie, la psychologie et aussi les aspects quasiment spirituels de reconnexion au milieu naturel… Et qui n’est pas dans le mental, c’est beaucoup plus vaste.

Tu vois, il y a d’abord une phase de compétence à acquérir, puis d’osmose avec le milieu, puis il s’agit de ressentir… C’est le corps qui gère. C’est le rapport au réel, le rapport au monde qui est questionné.

PS • Qu’est ce qui t’a poussé à faire ça ? C’est la peur ? Les gens qui viennent au stage, ils ont peur ?

DM • Parfois, mais pas tant que ça. Ce n’est pas la motivation première. Non, dans les stages, on rigole, on apprend des trucs, on partage, on tchatche, c’est hyper cool.

Ce sont des chasseurs cueilleurs qui ont été extraits de leur milieu naturel pendant des années, qui, d’un coup, se retrouvent ensemble dans leur milieu d’origine et qui se disent : « Oh putain ! Mais en fait c’est bien ! » [rires] On vit l’expérience d’être ensemble dans la forêt.

PS • Et tu as formé plein de gens très sérieux, non ?

DM • Oui, l’armée, la gendarmerie… en France, en Suisse, en Belgique.

PS • Est-ce que vous voyez un paradoxe dans le fait que les gens ont besoin, d’une part, d’ancrage, de terrestre, de physique, de sauvage, et, d’autre part, de faire grandir une part spirituelle ?

AV • Un arbre ne peut déployer ses branches que s’il développe ses racines. Ce n’est pas un paradoxe. Mais on a, en Occident, cette culture de la séparation. Une culture de l’intellect, de la raison, du savoir et non pas du savoir-faire, de l’artisanat ni de l’instinct.

DM • Et encore moins du sentir. On ne veut pas sentir ni voir la bestiole qui grouille au fond de nous. On essaie de la faire taire. Mais ça ne marche pas.

PS • Et vous, vous cherchez à faire sortir la bestiole ?

DM • Oui, pour faire connaissance avec elle. Pour arriver à se dire : « Ah ouais ! En fait tu peux mordre, mais tu peux aussi ronronner. Et aussi tu peux me servir de source d’énergie pour faire ce que j’ai à faire. »

Le but des stages, c’est de se connaître de mieux en mieux, de connaître les automatismes qui sont en jeu, les déterminismes culturels, émotionnels, instinctifs, etc. C’est ça qui permet de gagner en liberté. On peut choisir.

PS • Les intellos diraient que c’est du Spinoza ! [rires]

DM • Par exemple, un jour je suis en colère pour une raison très légitime, mon corps génère une série d’hormones et de mécanismes qui me préparent à la bagarre, qui me donnent de l’énergie.

Qu’est-ce que je vais en faire ? Je peux prendre une batte et éclater la gueule de ceux qui m’ont mis en colère ou alors je peux utiliser cette énergie pour écrire mon bouquin un peu plus longtemps ce soir-là, même si j’étais fatigué.

Je peux choisir, au lieu de suivre mon programme automatique, de dévier l’énergie où je veux.

Je suis plus libre. Et ce n’est pas ma colère qui choisit, c’est moi qui choisis ce que je vais faire de ma colère. Donc le mec qui te met en colère, il te fournit de l’énergie gratuitement, tu dis « merci » ! Bon, dit comme ça, ça fait un peu maître Jedi, mais en vrai… il y a eu des moments où j’ai eu envie de tout péter !

PS •  Et donc on revient à ce que tu disais au début : vous avez découvert qu’en situation difficile, c’est l’entraide qui compte. Vous arrivez finalement au même constat que dans notre livre L’Entraide, l’autre loi de la jungle. On ne va pas s’en sortir si on est tout seul. Et, bien sûr, ça implique aussi des liens avec les non-humains…

DM • Ben ouais. C’est le lien.

AV • Quand ton égo est nourri de confort et de satisfactions superficielles, globalement, tu peux arriver à n’en n’avoir rien à foutre des gens qui sont autour de toi. Puis, quand on t’enlève quelque chose auquel tu tiens et que tu pensais acquis, tout à coup tu vois les liens et la ressource que c’était.

Les liens, ça inclut aussi des parts de nous-mêmes, au plus profond de nous, avec lesquelles on n’a pas communiqué depuis longtemps. Et ça, c’est une vraie ressource

PS • Et tous ces stages, c’est pour vous préparer à un effondrement ?

DM • On vit déjà plus ou moins comme si tout était effondré.

PS • Toute cette question des catastrophes, finalement, c’est venu après tous vos stages, non ?

DM • Ça ne change pas grand-chose. Depuis le début, j’essaie d’outiller les gens pour qu’ils soient adaptables, de manière générale. Qu’ils gagnent en liberté, en adaptabilité.

Par exemple, s’adapter à une rando qui tourne mal ou à un milieu climatique difficile ou à une rupture du service public ou n’importe quoi d’autre, c’est un peu pareil, c’est la même adaptabilité qui se déploie différemment. Et lorsqu’il y a un collectif, il doit aussi être adaptable. Toutes les solutions qu’on peut apporter dans les stages de survie, c’est en gros de l’humanitaire… local. C’est de l’organisation, de l’entraide, des chaînes logistiques, etc.

AV • En fait, qu’on parle d’effondrement ou pas, beaucoup de personnes peuvent ressentir qu’on est à un paroxysme, que quelque chose est en train de changer de forme, que la conscience est différente, que la façon d’être en lien change. Pour moi, c’est important de ne pas être positionné « contre ». Le mouvement hippie était contre la guerre. Mais que tu sois pour ou contre, tu te positionnes par rapport à un référentiel.

Aujourd’hui, je pense que ce qui émerge, que ce soit conscient ou inconscient, c’est qu’on a envie de changer de référentiel.

Est-ce que j’agis à partir de la peur ou de l’amour ? Oui, je pense qu’on est dans un processus d’effondrement, mais c’est du renouveau également, et je ne sais pas combien de temps ça peut prendre.

PS • Vous avez un passé de lutte politique, une histoire avec l’activisme ?

DM • Je crois de moins en moins aux grands ensembles. Je pense que c’est beaucoup moins grave de se tromper dans son coin à petite échelle que d’avoir une grande solution prétendument parfaite à grande échelle. Parce que ça ne marche pas.

Je pense que l’avenir va être de plus en plus décentralisé, dans le rapport au concret, dans l’organisation à petite et grande échelle. Et en même temps avec une interconnexion plus facile avec Internet, etc.

On arrive à un moment où les grands ensembles montrent leurs limites. Je pense qu’il faut prévoir et organiser des manières de fonctionner en petits groupes, sans ces grands ensembles, mais pas individuellement non plus. Réduire les échelles d’organisation pour que l’adaptation aux contraintes locales soit facilitée.

AV • Chacun a la meilleure solution pour lui, et je ne prétends rien savoir de ce qui est bon pour les autres. Je ne peux transmettre qu’à des gens qui ont un système proche du mien.

Tout à l’heure, on disait que les gens ont des déterminismes inconscients et que parfois on fonctionne avec des non-choix. Je trouve complètement délirant de penser que les grands systèmes sociaux n’ont pas aussi ce même fonctionnement. Pour moi, c’est évident que les organismes et les organisations ont aussi des déterminismes et des automatismes. Donc aller en force dessus, ce n’est pas comprendre ça.

PS • Aujourd’hui, David, tu continues à dispenser ces stages, et en plus, avec Aurélie, vous en avez créé de nouveaux ?

DM • Oui. C’est le prolongement logique de ce que je faisais et de ce qu’Aurélie faisait. [Il se tourne vers Aurélie.]

AV • À force de trop cloisonner, notre société passe en permanence à côté de compétences transversales. Dans nos stages, on travaille sur trois axes : d’abord le corps (l’instinctif), puis l’émotionnel et enfin le mental, et comment ces trois travaillent ensemble. On ne peut pas les dissocier ! David et moi, avec des parcours différents, on se retrouve sur cette vision commune.

PS • Le prolongement de vos parcours, c’est quelque chose de plus… spirituel, c’est ça ?

AV • C’est pour arriver à plus de liberté !

DM • À devenir soi-même.

PS • Et en même temps il y a une dimension très collective dans vos stages. On soigne la dynamique de groupe, on prend soin les uns des autres.

DM • Le stage « Tribu 2.0 », c’est vraiment l’organisation de groupe. On va improviser, voir les mécanismes du groupe en cas d’imprévu. Comment favoriser, nourrir le lien, dans le concret, avec des enjeux très basiques.

AV • C’est complètement expérimental, ça part d’un élan de cœur. Il y a des familles dans le groupe. L’idée n’est pas d’arriver à un résultat, mais de trouver une expérience, et du lien. C’est ça qu’on a besoin d’apprendre. T’as beau avoir toutes les connaissances de communication non-violente et tout, quand tu es face à du concret, tu peux vriller super vite pour des broutilles.

PS • Et le stage « 5% » ?

DM • Le stage « 5% », c’est plus orienté survie. Développer la capacité à développer la coopération en cas de crise. Préparation physique et mentale. Une phase pédagogique où j’enseigne à enseigner et une phase coopération où je mets en place des guidelines pour pouvoir faire émerger de la coopération sous stress.

PS • Il y a aussi un stage qui s’appelle « Antifragile », à partir de cette notion : quand on se prend un choc, on peut en sortir renforcé, plus grand.

AV • Oui. En fait, un choc te permet d’identifier là où ça coince en premier dans ton système. Et après tu peux faire ce que tu veux de cette faille, ça t’ouvre à la possibilité de grandir.

L’idée d’antifragilité, c’est d’utiliser cette adversité à la fois pour mieux se connaître et pour faire des choses. C’est valable pour les individus et pour les collectifs. Ça demande d’accepter qu’il y a des endroits où on est plus fragile que d’autres et de le partager sans se juger.

DM • Ce stage, c’est vraiment élaborer, donner des recettes, des méthodes, une discipline pour outiller les gens afin qu’ils soient capables de profiter d’une adversité, de s’en nourrir et pas seulement de la subir.

PS • Qu’apportent ces stages à la question des catastrophes globales ?

DM • Beaucoup de gens aujourd’hui ont perdu la foi en leur capacité à traverser quelque chose de dur. Comme si un grand changement dans leur vie, c’était la fin du monde. Une crise financière, c’est la fin… et après c’est l’enfer, on est à la rue, et on va tous mourir !

PS • Tu veux dire que les gens ont une vie trop confortable ?

DM • Je ne sais pas si on peut dire que les gens ont une vie trop confortable, mais ils ont peur. Peur de pas être capables de se relever, de s’adapter au changement, de se relever plus forts. Ils ont peur des accidents de la vie.

Pour moi, le constat, c’est ça : les gens n’osent pas, ils freinent, ils refusent le changement, ils essaient de garder leur acquis pour éviter que le monde change, pour éviter les stress, et même parfois pour éviter le réel. C’est du déni.

L’idée de ce stage, c’est d’outiller les individus afin qu’ils constatent que, dans leur vie, ils ont eu des coups durs et qu’ils ont évolué grâce à ça. Chacun a eu ses évènements, chacun a son tropisme.

PS • Et donc vous donnez un cadre de sécurité pour subir des coups durs ?

DM • Plus exactement, on donne des outils pour digérer les coups durs et en faire quelque chose de positif.

PS • Vous maltraitez vos participants, quoi ! [rires]

DM • Nan, nan, carrément pas ! Au contraire, on leur montre bien souvent qu’ils se maltraitent eux-mêmes et qu’ils s’empêchent d’être bien et de se mettre dans des conditions favorables à leur évolution.

AV • On a tous déjà été antifragiles dans notre vie, et quand tu mets de la conscience sur ces processus, ça change tout, ça permet d’aller plus vite. Et de profiter du voyage !

C’est ça qui fait la différence de vécu pour une même expérience : c’est d’entrer en conscience dans la difficulté.

Si on prenait tous cinq minutes, là, maintenant, pour se demander quels ont été nos coups durs, et ce qu’on en a retiré, on se rendrait compte qu’on a tous des joyaux. On peut même arriver à éprouver de la gratitude pour ce qui s’est passé. OK, ça va être dur, ça va être inconfortable et je vais pas kiffer… mais je vais grandir et je vais découvrir des parts de moi.

Une fois que quelqu’un a vécu ça, il repart avec une détente. Et c’est ça que les participants identifient comme de la bienveillance. Ils pensaient qu’ils allaient se faire maltraiter en stage et ils ont simplement été accompagnés.

PS • Alors, vos stages, ça diminue le niveau de peur ?

DM • Grave. Déjà, t’as plus peur d’avoir peur. Et non plus peur d’avoir peur d’avoir peur… Toutes les couches de compensation qu’on met en place pour éviter le tout petit truc de merde qui au départ te faisait peur, et qui au final devient une grosse mayonnaise que t’as fait monter tout seul dans ta tête. Si tu arrives à enlever les couches, tout le soufflé se dégonfle, les gens sont plus apaisés.

AV • Cette idée d’avoir peur de la peur, c’est vraiment quelque chose qui nous entrave dans notre croissance. Toutes nos habitudes, ce sont des sillons de vie qui nous confortent dans notre zone de confort. Ce qui borde ces sillons, c’est la peur.

Si t’as peur de la peur, eh ben tu restes toujours dans ta zone de confort et tu ne vas jamais sur les bords. Donc tu n’élargis jamais ton sillon, tu ne te dépasses pas. C’est intéressant de se poser la question : « Qu’est-ce qui pourrait arriver si je dépasse ma peur ? » La peur, c’est comme une passeuse, elle t’emmène d’un bord à l’autre.

L’archétype du passeur avec son capuchon dont tu ne vois pas le visage, c’est vraiment ça, la peur. Si tu veux bien cheminer à côté d’elle pendant un temps, tu vas aller de l’autre côté du rivage.

DM • J’aime bien ton image !

PS • Tu diminues la peur, mais tu ne l’effaces pas.

DM • L’idée n’est pas de la désarmer, mais de l’utiliser.

AV • Lutter contre elle, ça n’a pas de sens. À chaque fois, ta peur te montre que tes conditionnements ne sont pas faits pour t’emmener à cet endroit-là. Ça ne veut pas dire que l’endroit est dangereux.

PS • Ça rejoint ce qu’on dit souvent : que la peur montre aussi le chemin du courage.

AV • C’est ça. Dans la grille de lecture de la médecine chinoise, chaque émotion qui jaillit, et que tu exprimes de façon saine, vient nourrir d’autres potentiels émotionnels. Donc accueillir sa peur telle qu’elle est, ça vient nourrir la notion de mesure, de juste doute, de courage, de précaution. Et ce sont des qualités dont nous avons besoin. Les émotions ont besoin d’être vécues, et pas seulement la peur.

PS • C’est marrant, parce que tout ça, je l’ai découvert dans des stages beaucoup plus tranquilles d’écopsychologie, de reconnexion à soi et aux autres. En fait, on fait la même chose !

DM • Ce sont les mêmes mécanismes, c’est normal.

PS • Mais il y a une image d’Epinal du suvivaliste qui fait des trucs « méchants » dans un milieu « hostile »…  Est-ce que vous avez des échos des stages de survivalistes ? Est-ce qu’ils font la même chose que vous ?

DM • Les nouveaux stages qu’on fait avec Aurélie, je n’appelle pas ça des stages de survie. C’est plutôt des stages de… vie. Ou de connaissance de soi. C’est le prolongement de la survie.

J’en suis venu à ça parce que je me suis rendu compte que ce qui manquait le plus aux gens en survie, ce n’était pas de la technique, c’était la posture.

C’est ça qu’on travaille dans nos stages. Les survivalistes ne le comprennent pas. Bon, je vais me la péter un peu, mais j’ai toujours 15 ans d’avance… Quand j’ai commencé à faire de stages de survie il y a 15 ans, on disait : « Mais il est con, lui ! Pourquoi on s’emmerderait à aller dehors ? On a un lit ! » [rires]

Aujourd’hui, j’ai fait le tour de ces stages où tu dors sur un tas de branches, roulé en boule, à bouffer des chapatis à l’ail des ours. [rires] C’est cool de faire ça, je dis pas. Mais maintenant, pour moi, l’aventure, c’est d’aller voir à l’intérieur.

J’utilise la métaphore du feu de brousse qui crame en cercle et qui s’étend progressivement. Un cercle de feu qui sépare le connu de l’inconnu, ça agrandit le cercle de la connaissance de moi. Que ce soit la peur, la colère, l’amour… peu importe.

Tout ça donne des infos sur ce qui frotte entre moi et l’extérieur. La rencontre des deux génère une émotion. En allant voir cette émotion, j’apprends sur moi et je gagne en liberté. Je désamorce des conditionnements.

PS • Je trouve qu’il y a un beau parallèle avec le travail de Nans et Mouts, dans l’émission Nus et culottés : ils se mettent en condition de déséquilibre, de vulnérabilité, et le monde s’ouvre…

DM • Ils ont voulu faire la démonstration que les gens sont gentils.

PS • Oui, et c’est très beau. Mais ils vont plus loin. Ils montrent que quand tu lâches tout, quand t’avances sans filet, non seulement les liens sont plus faciles et forts avec les gens que tu rencontres, mais tu gagnes une attitude d’ouverture très puissante, qui est propice à… comment dire… à la vie, pour reprendre ton expression, et pas à la survie.

DM • Oui, on le voit aussi en stage. Quand il fait mauvais tout à coup, l’avocat qui est arrivé avec son énorme 4×4 et son matos tout neuf, il pleut sur lui comme sur tous les autres. Soudain, il n’est plus en mode : « Tu vois, là, mon couteau, c’est tel forgeron qui l’a fait et il m’a coûté 1.200 balles. » [rires]

Et à côté, le petit maçon qui est arrivé avec son sac Quechua et son pull en alpaga, si ça se trouve, il a des ressources en plus. Il pourrait lui dire : « Vas-y, démerde-toi ! » parce que l’autre l’a un peu pris de haut. Mais il voit que l’armure de l’autre tombe et il fait : « Bah… viens ! Moi aussi, j’en chie. » Et là, ça crée des conditions beaucoup plus saines, où y’a pas tous les masques, toutes les armures…

PS • C’est vraiment tout le temps comme ça ? Ou parfois, quand tout le monde en chie, il y a des caractères qui pètent des plombs et qui font naître des tensions ?

DM • C’est JAMAIS arrivé. Plus les conditions sont dures, plus les gens sont dans le lien et l’entraide. Et ils gardent un bon souvenir.

PS • Vous avez l’impression que votre travail peut permettre de se préparer aux catastrophes qui arrivent ? Ou vous vous en foutez un peu ?

DM • Vas-y Aurélie, tu veux peut-être répondre, moi j’arrête pas de tchatcher…

AV • En fait, peu importe ce qui va t’arriver, tu as déjà la certitude que tu vas avoir de l’adversité dans ta vie. Qu’on arrive à un effondrement global ou local, ou bien à des catastrophes climatiques ou à que sais-je encore, tu sais qu’il y a des traversées qui vont être encore difficiles. Tu sais que tu peux partir sur de l’« avoir » et du « faire », et que ça peut être dangereux pour ton état d’esprit.

Par exemple, commencer à faire des stocks ou rentrer en parano sur un sujet d’actualité, c’est chercher le contrôle. Bon, y’a peut-être des gens qui vivent bien avec ça, mais moi je pense que c’est anxiogène. Ou alors tu peux travailler ta posture, ton « être ». Peut-être qu’une personne aura fait un stage « Antifragile » en vue de se préparer à l’effondrement, mais peut-être que cela lui servira parce qu’elle va divorcer, tu vois ?

Les galères de la vie, c’est sûr qu’elles vont arriver ! De base, y’a un truc qui est sûr, c’est que tu vas en chier et qu’à la fin tu vas mourir, et en plus tu vas voir mourir des gens que tu aimes. Rien que ça, on ne s’y prépare pas. Et c’est complètement idiot. Parce que ça nous permettrait de célébrer encore plus fort les moments où c’est beau et où on est ensemble.

En fait, tout ce qu’on fait avec David, c’est pour que les gens kiffent un peu plus, effondrement ou pas.

Ça permet d’apprécier les choses telles qu’elles sont, de reprendre du pouvoir sur soi et de la liberté, de ressentir de la gratitude, et ce sont des ressources énormes. C’est ça la différence entre les gosses des bidonvilles qui jouent dans les éclats de rires et nos gosses qui pètent un plomb parce qu’ils n’ont pas eu une demi-heure de plus de dessin animé.

DM • C’est clair.

PS • Bon… vous donnez des réponses profondes et magnifiques, alors que je voulais faire des blagues, détendre l’atmosphère, genre vous demander simplement si vous aviez des stocks de nourriture… Vous faites chier ! [rires]

[et grand silence]

PS • Mais sinon, vous avez des stocks ? [rires] Des stocks de dessins animés ? [rires]

DM • Non, pas de stocks… Si, des stocks de conneries. [rires]

PS • Et avec toutes ces rencontres fortes dans les stages, vous avez de plus en plus confiance en l’humain ? Ou moins ?

DM • Plus.

PS • Euh… y’a Aurélie qui fait la moue… [rires]

AV • Non, on partage une vision similaire, et fondamentalement on aime les gens, mais… pas trop longtemps ! [rires]

DM • Non, moi j’aime pas les gens. Tant que ça reste des gens, j’aime pas les gens. Tu vois, quand t’es sur la route derrière un gars qui va à 60km/h et que tu peux pas doubler, ben t’aimes pas les gens, moi non plus. Mais, après quand je les rencontre, ce n’est plus « des gens », et donc je les aime.

AV • Chaque personne qui vient en stage, c’est une rencontre. Et quand ils s’en vont, ce sont des amis qui s’en vont.

DM • C’est vrai.

AV • Et ça nous tient à cœur de ne pas être dans une posture hiérarchique : c’est moi qui explique, etc. C’est du face à face, de la fraternité. Et finalement on a de plus en plus d’amis, voilà ce qui se passe.

DM • Nous aussi on grandit pendant les stages.

AV • C’est très riche ! Chaque personne te renvoie à toi-même, elle te renvoie à des parts de déni, à ce que tu ne veux pas voir, etc. En toute honnêteté, on fait ça aussi pour nous, parce qu’on grandit dans les jeux de miroir. Tout seul, tu ne peux pas vraiment évoluer.

PS • J’entends beaucoup de sagesse dans vos paroles, et j’ai l’impression qu’on pourrait continuer longtemps… peut-être à un prochain stage ? Je voulais vous remercier, vous dire que ce que j’aime chez vous, c’est que vous êtes à la fois sur la terre, bien dans le concret, et dans le ciel, avec un parcours spirituel puissant, et que vous êtes à fond dans le partage.
Merci.

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