D’un côté World3, le modèle économique qui montre les limites de la croissance. De l’autre Dice, le modèle libéral qui promet une croissance infinie. Devinez lequel plaît le plus à nos chers dirigeants !
En 1972, le couple Meadows, chercheurs au MIT prédisent l’effondrement du système économique par l’épuisement des ressources et la pollution. Leur modèle mathématique, intitulé « World 3 » est présenté dans le fameux rapport The limits to Growth.
Pour répliquer à ce modèle, les économistes neo-libéraux, menés par William Nordhaus, conçoivent, en 1991, leur propre modèle : le Dice. Un modèle où le progrès technologique et la main autorégulatrice du marché nous sauveront de l’effondrement.
Comparons-les !
Que prédit World3 ?
Ce modèle se fonde sur l’hypothèse que l’humanité a besoin de ressources non renouvelables pour se développer. L’augmentation de la production et de la population se traduit donc par un épuisement des ressources.
Dans ces conditions, le modèle capitaliste de production croissante et infinie est intenable.
Pourquoi World 3 s’appelle ainsi ? Car, selon le modèle, 3 planètes seraient nécessaires pour conserver notre mode de vie d’ici 2100 !
Pour être durable, l’humanité doit produire à un rythme respectueux du temps de renouvellement de la planète, mais aussi utiliser des ressources renouvelables et recycler un maximum.
De plus, dans ce modèle où la production de richesses n’est pas infinie, la question de la répartition devient centrale.
En effet, avec notre mode de vie consumériste, les ressources vont finir par manquer. Et à force d’exploiter les ressources plus vite que la nature ne les renouvelle, ce sera l’effet Reine Rouge, puis l’effondrement.
L’effet Reine rouge ? C’est quand, pour compenser la baisse de la croissance liée à la baisse des ressources, l’industrie se met à produire de plus en plus et de plus en plus vite. Ce qui épuise encore plus rapidement les ressources et pollue davantage. Accélérant ainsi l’épuisement des ressources et… le processus d’effondrement !
Je vous recommande cette conférence de Gaël Giraud sur le sujet :
Pour résumer le modèle World 3, on peut dire que “l’obsession de production croissante et infinie” conduit inexorablement à l’effondrement.
La critique néo-libérale de World 3
Nordhaus et les économistes néo-classiques (souvent qualifiés de néo-libéraux) critiquent vertement (haha) le modèle World 3. Son défaut ? Oublier l’innovation !
Pour ces économistes, l’innovation va optimiser l’utilisation des ressources et permettre le maintien de la croissance tout en consommant moins de ressources.
Deuxième critique : selon ces économistes, World 3 oublierait qu’en cas de baisse significative des ressources, les États vont les rationner (comme lors des chocs pétroliers de 73 et 79 où le pétrole était réservé aux secteurs prioritaires). Il n’y aura donc pas d’effondrement, mais un simple ralentissement à l’approche du seuil critique.
Troisième attaque contre World 3 : l’énergie, c’est du capital. Le marché va donc arbitrer entre énergies fossiles et renouvelables. Le marché devrait ainsi progressivement abandonner les unes au profit des autres.
Bref, le marché est rationnel, il ne va pas s’obstiner dans le choix des énergies fossiles et va éviter l’effondrement grâce à l’innovation, au rationnement et à la substitution des ressources. Ce qui est exactement le discours d’Emmanuel Macron lorsqu’il a présenté son plan #France2030.
Contre World 3 : le modèle Dice
En 1991, William Nordhaus et les économistes néolibéraux vont créer leur propre modèle : Dice.
Ce modèle permet de “calculer une trajectoire optimale pour trouver un équilibre économique entre rendement et pollution”.
Contre les émissions de CO2, ils préconisent des investissements verts.
Alors, comme la solution verte est souvent moins rentable que la solution polluante, le marché va devoir attendre que la pollution provoque des baisses de productivité (et rende la solution verte plus rentable).
Autrement dit : quand les activités « émettrices » coûteront trop cher, les entreprises choisiront une activité « verte » moins chère.
C’est ce que le modèle Dice nomme « le compromis optimal entre investissements verts et réchauffement climatique ».
L’idée est donc d’attendre que la planète soit suffisamment détruite pour agir. Ainsi, on pourra « verdir l’économie » à un rythme qui n’entame pas la croissance du PIB. Faut y aller mollo, hein, pour préserver la rentabilité des investissements (qui passent avant l’équilibre du système Terre).
Autorégulation et géoingénierie
Le temps de trouver leur équilibre optimal, les économistes néo-libéraux parient sur la technologie pour réguler la température.
Bon, faut dire que le réchauffement ne les angoisse pas plus que ça. En effet, dans leur modèle, le réchauffement ne concerne que le secteur agricole et l’élevage, qui comptent pour 15 % du PIB mondial. Donc, mathématiquement, 85 % du PIB mondial n’est pas impacté par le réchauffement climatique.
Voilà, voilà. Clap, clap, clap.
La « trajectoire optimale » selon Dice
Le modèle mêle 3 courbes : les émissions de CO², la température optimale et le prix du carbone.
Selon Dice, le transition d’une économie « émettrice » à une industrie « décarbonée » débute vers 2050 et s’étire sur 300 ans. Selon eux, la température optimale se situe autour de +4°C autour de 2150 et se stabilise à +2°C d’ici 2600.
On peut penser que c’est sur ce modèle que la Chine base ses projections de peak de carbone en 2030 et décroissance jusqu’en 2060.
Pour ce travail, William Nordhaus a reçu le prix Nobel d’économie en 2018. Son modèle est actuellement le principal « guide » des gouvernements de G8. Tout-va-bien.
Faites votre choix
Résumons-nous. Selon World 3 la course à la maximisation de profits infinis aboutira à un effondrement du système.
Selon Dice, le marché va progressivement conduire à un verdissement de l’économie, en évitant les chocs majeurs.
Sauf que… on peut craindre que ce changement n’arrive qu’une fois qu’il sera trop tard et que le « système terre » sera détruit ! Ce qui conduira à l’effondrement.
Mais alors, comment expliquer que Dice (qui suppose l’invention de technologies qui n’existent pas et que la vie sur terre soit possible avec +4°C) soit le modèle dominant ?
- D’abord parce qu’il est philosophiquement « capitaliste » : il présuppose que le seul but de l’humanité est la production de richesses.
- Ensuite, parce que c’est un outil politique « à géométrie variable ». En effet, il est suffisamment malléable pour justifier n’importe quel programme électoral.
Contrairement au modèle du rapport Meadows, qui prône la décroissance et un changement de civilisation. Vachement moins sexy comme programme électoral… enfin, ça dépend. Tu préfères mourir riche ou une vie simple ?