CAN DECREIX, lieu d’expérimentation de la décroissance

À Cerbère, à quelques pentes rocheuses de la frontière franco-espagnole, se niche Can decreix, la maison de la décroissance en catalan. Sur place, tout est sujet à être utilisé, questionné ou réinventé pour que le quotidien rime au mieux avec sobriété. Reportage entre cactus et low-tech.

François Schneider, enseignant- chercheur en écologie politique et fondateur de Can Decreix. @ Capucine Barat

Bon alors, qu’est-ce que vous voulez, un cacfé ?“, entonne chaleureusement François dès notre arrivée. Notre hôte, François Schneider est un enseignant-chercheur en écologie politique. Chercheur en analyses de cycle de vie de produits, il s’est adonné en 2004 à une marche de sensibilisation avec deux ânes qui l’occupera un an. Fervent défenseur de la sobriété, il lance en 2008 les conférences internationales de la décroissance. Suite à cela, il fonde en 2011 Can Decreix, un centre pratique où il développe un système low-tech dans un environnement inspirant puisque soumis aux contraintes du vent, de la sécheresse et des pentes.

Une culture qui pique la curiosité

Sur place, rien ne pousse. Sauf le cactus. Dans cet environnement caractérisé par une aridité persistante, il a fallu s’adapter. Et il est vrai, la décroissance commence par la conscience que nous avons du lieu où l’on vit. Alors, après des recherches au sujet du cactus, François a découvert une dizaine d’usages différents à la plante xérophyte. En 2021, il lance avec des viticulteurs et d’autres passionnés l’association Cerbère Cactus. Leur objectif : développer la culture du figuier de Barbarie (Opuntia ficus-indica) et porter un projet de coopérative de production et de vente.

Cactus sauvage (Opuntia stricta) @ Capucine Barat

Ce sont avant tout les fruits des cactus sauvages et cultivés qui font l’objet de transformations atypiques : jus de cactus, sirop de cactus, confiture, poudre de fruits, pâte de fruit appelée cuir de fruit, cacfé, caccorée et huile avec les graines, chutney ou encore vinaigre. « On teste continuellement » nous confie François pour qui l’expérimentation joue un rôle fondamental.

Jus de cactus produit à Can Decreix. @Capucine Barat

Pour l’agriculteur, la démarche ne s’arrête pas là. Il y a un an et demi, il a mis au point un rocket pasteriser (système de pasteurisateur low-tech chauffé au bois). Ça lui permet de récolter, transformer et mettre en bouteille son breuvage, sur le même lieu. Bien qu’il ne soit « pas très bon en business », la production est vendue dans un magasin d’une commune des Pyrénées-Orientales et sur les marchés aux alentours. À terme, l’association souhaiterait avoir une unité de transformation qui puisse être mutualisée avec les vignerons et les villageois.

Pasteurisateur Low tech créé par François. @ Capucine Barat
Séchoir solaire. @ Capucine Barat

Lorsqu’il n’y a pas de fruits, ce sont les raquettes des cactus qui occupent la petite équipe. Selon François « les meilleures sont celles d’avril, mai et juin parce qu’elles sont plus jeunes ». Ces pales, une fois coupées et séchées au four solaire, seront broyées pour faire de la farine. Elles servent aussi à la création de gratte-éponge, de shampoing, de produit vaisselle ou encore de crème de massage. En fonction de la cuisson et de leur maturité, on pourra également les manger tels des haricots verts ou des poivrons verts.

Des low tech pour tout et partout

En arrivant dans les hauteurs de la côte Vermeille en 2011, François décide volontairement de créer des conditions propices à l’innovation frugale. Avec d’autres, ils se libèrent des toilettes à eau, du chauffage électrique, de la machine à laver, de la voiture, de la télé, sans se couper des réseaux d’eau et d’électricité toutefois. Intéressés par le faire soi-même, ils développent « des trucs simples » puis élaborent de nouveaux design pour finir par créer un système reposant entièrement sur les low-tech. Aujourd’hui, Can decreix est connue nationalement et internationalement dans la sphère de la décroissance.

Rocket stove en cours d’utilisation. @ Capucine Barat

Arrivé.es pour l’heure du déjeuner, nous rencontrons Lou, une woofeuse ici depuis 2 mois qui s’active à la préparation du repas. Devant le rocket stove, un type de foyer à bois utilisé pour la cuisson des aliments, elle nous explique le principe : « à l’intérieur, la fumée embrasse la casserole et cuit les aliments de manière homogène ». Pendant ce temps, le pain finit sa cuisson dans l’un des deux fours solaires. Pour une région aussi ensoleillée, ils s’avèrent être essentiels.

Au fil de la visite, nous comprenons une chose : tout fonctionne en interdépendance. François appelle ça des cascades de ressources (c’était le thème de sa thèse en doctorat !). Autrement dit, vivre low-tech nécessite une démarche préventive en amont. Par exemple, l’eau utilisée pour la vaisselle est directement réutilisée pour les plantes et ne doit donc pas être souillée par des produits chimiques. Pour cela, il utilise du savon de plantes, de potassium ou du nettoyant cactus. Il veille également à ce que les graisses soient filtrées par un filtre à paille qui récupère et réduit la charge qui descend aux plantes. La cendre du rocket stove est quant à elle réutilisée en eau de cendre en guise de lessive.

Filtre à paille. @ Capucine Barat

Le lieu a une particularité : être sans « produits blancs ». Pas de séchoir à linge, de lave-vaisselle, ni congélateur, ni machine à laver. Faire sans réfrigérateur implique d’avoir recours à de nombreuses alternatives (lactofermentation, stérilisation solaire, séchage…) mais aussi d’être précautionneux quant aux quantités cuisinées. À défaut d’être blanc, le réfrigérateur serait davantage en terre locale. C’est le projet de Jeanne, designeuse d’objets et de services et de Lionel, architecte, qui travaillent à la conception d’un frigo low-tech inspiré des frigos du désert. Sélectionnés à l’incubateur de l’université de Perpignan qui les accompagne sur les aspects entrepreneuriaux, il et elle souhaite rendre cette conception accessible à toustes soit sous la forme de kit soit grâce à des tutos.

À ce jour, Can Decreix est le seul low-tech Lab dans le département des Pyrénées-Orientales. Philippe Destanque, convaincu de l’importance de leur diffusion, s’implique activement à la création d’un pôle autour des low-tech à Perpignan. Pour plus de renseignements, vous pouvez le contacter au : 06 01 74 42 32

Pour aller plus loin : Les low tech sont la clé de la décroissance

Pour aller encore plus loin : Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie un livre de Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement.

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