Azul Valérie Thomé : « en plongeant dans la peine, on se reconnecte à un élan vital »

Azul Valérie Thomé : De la peine à l'élan vital
@Azul Valérie Thomé

Azul Valérie Thomé confie à Pablo Servigne, lors d’un entretien à Londres, en novembre 2019, son parcours, ses influences et le « travail sacré du deuil » qu’elle propose.

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Azul est passionnée. C’est une tisserande, elle entremêle si naturellement la peine et l’amour, la mort et la naissance, que ça devient une évidence. Elle a su faire de son lien à la mort une pulsion de vie, de sa sensibilité une force, et de la solitude une générosité. Son monde est beauté claire obscure.

Il n’y a pas de secret : pour grandir et devenir des êtres accomplis, nous devons regarder la mort en face, comme nous l’enseignaient les stoïciens à l’époque, ou comme l’exprime le poète soufi Rumi : il nous faut « mourir avant de mourir ». Mais dans notre époque effrayée par la mort, les rituels ont disparu, nous laissant souffrants et désemparés.

La matière brute d’Azul, c’est ce que les Anglais appellent le « grief » ou ce qu’on pourrait nommer la peine liée à une perte, la douleur, le chagrin, l’affliction, la désolation, le deuil. Mais il ne s’agit pas juste d’une tristesse grisâtre, il s’agit aussi de colère et de mille autres affects, d’une mosaïque multicolore. Tout le travail d’Azul consiste à nous apprendre à plonger dedans, ensemble, pour y trouver un élan de vie.

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 2013 à la même tribune du Parlement européen de Bruxelles, elle présentait devant une grande assemblée un projet d’agriculture urbaine à Londres. C’était une autre vie. Depuis, nous nous sommes croisés régulièrement, en France, en Belgique, en toute confiance.

Azul a « sacrément » évolué, transformant ses ombres en beauté, ses souffrances en art, et créant des rituels de guérison autour du « grief ».

Un peu libanaise, un peu française, un peu mycélium, un peu corbeau, elle vit aujourd’hui dans une petite cabane dans la forêt près de Totnes, en Grande-Bretagne, dans l’abandon du matérialisme. Elle a participé activement – jusqu’à l’épuisement – au mouvement Extinction Rebellion en 2018 et 2019.

Nous nous sommes vus à Londres, en novembre 2019. Dans cet entretien, on y découvre son parcours, ce qu’elle entend par chagrin, peine et deuil, et on comprend pourquoi son travail de mémoire et de création est indispensable pour ces périodes sombres, et pour guérir des deux maux de notre monde moderne : l’amnésie et l’anesthésie.

Azul-Valérie-Thomé
© Azul Valérie Thomé

PABLO SERVIGNE
Azul, merci. Enfin ! Nous prenons un peu de temps pour nous poser et mettre en mots ce que tu fais depuis des années. Même si tout évolue très vite ces derniers mois – il y a un tourbillon d’événements et de projets ! – on peut dire que le principal apport de ton art et de ton travail (tu parles de « grief work ») tourne autour du deuil, du chagrin, de la peine… Pourquoi la peine ?

AZUL
Pourquoi le travail sur la peine ? Parce que c’est le langage de l’âme ! Je suis attentive au matériel brut et brutal de notre âme et je tente de le transformer en beauté. La peine est un affect très puissant, c’est ce qui suit une perte, n’importe quelle perte, et ça déclenche un processus naturel : le deuil. C’est très élémentaire, et ça échappe au contrôle de notre intellect.

Il vaut mieux laisser ce processus suivre son cours, l’accompagner du mieux possible, lui permettre de s’exprimer par un son, un mouvement, exactement comme l’eau qui descend d’une montagne. Si nous l’endiguons, si nous la retenons, elle gagne de l’énergie jusqu’à provoquer une inondation destructrice. Il vaut mieux la laisser trouver son chemin.

Beaucoup de gens ont peur de se faire engloutir par ce courant, de se noyer dans ces sentiments puissants. Sans compter que c’est mal vu dans notre société de se laisser aller, de montrer ses faiblesses… En fait, c’est le contraire qui arrive : en plongeant dedans, on se reconnecte à un élan vital. Je sais, c’est dur à imaginer comme ça ! [rires]

Ce « travail sacré du deuil », ce n’est pas une théorie, c’est vraiment une pratique dans le corps, dans le cœur… ensemble, en cercles.

Je ne le répèterai jamais assez. On ne parle pas du deuil solitaire, ce serait absurde. La peine est un don, un cadeau pour la vie. Montrer son cœur brisé à d’autres, c’est montrer qui on est vraiment, ce qu’on a envie de protéger, de réparer, de régénérer. C’est une façon d’être une activiste du sacré, de se laisser tout ressentir.

PS • En français, le chagrin et le deuil ont une couleur très grise et terne, mais ce que j’ai découvert avec toi, c’est qu’on pouvait ressentir plein d’autres choses à la suite d’une perte : de la rage, de la peur, de la culpabilité, de l’apathie, de l’engourdissement, etc. Le mot anglais « grief » est multicolore.

A • Oui, il n’y a pas d’équivalent en français, c’est compliqué. Le grief, ça explose, c’est très divers, très surprenant. Ce n’est pas seulement la peine, et ce n’est pas exactement le deuil. En anglais, on parle aussi de « mourning » pour le processus de deuil qu’on met en place, alors que le deuil est quelque chose de très naturel.

La peine peut prendre plusieurs formes, mais c’est aussi parce que c’est une réponse à différents types de pertes : ce que nous aimons, ou ce que nous attendions, mais que nous n’avons jamais eu… Il y a aussi les « pertes écologiques », par exemple les espèces disparues ou les forêts rasées, etc. Ou alors ça peut être une peine qui vient de loin, de notre lignée, de nos ancêtres.

Francis Weller, l’un de mes mentors, décrit cinq portes du deuil.

Les cinq portes de la peine (et de l’appartenance profonde)

Ces « portes de la peine » (gates of grief) ont été nommées par Francis Weller pour aider les personnes à reconnaître les types de peines qu’elles traversaient. Elles sont comme une boussole à cinq directions qui aide à naviguer dans ces abysses.

  1. Tout ce que nous aimons, nous le perdrons.
    Cette peine est la plus évidente, elle est proportionnelle à l’amour que nous portons et permet de garder le cœur ouvert à l’amour de ce que nous avons perdu. Cette porte est liée à notre séparation avec la mort.
  2. Les endroits de nous-mêmes qui n’ont pas connu l’amour (et dont nous pouvons avoir honte).
    Pour Weller, « ces morceaux d’âme vivent dans un désespoir absolu », ce sont des endroits fragiles qui n’ont jamais ressenti la compassion, la gentillesse, la chaleur (ni la nôtre ni celle des autres). On les cache, considérant justement qu’ils n’en valent pas la peine. Cette porte témoigne de la séparation avec soi-même.
  3. Les peines pour le monde (ou peines écologiques).
    La plupart de nos peines ne sont pas la conséquence de notre histoire ou de notre expérience, elles sont la conséquence de la destruction du monde. Elles pointent notre interdépendance. Lorsque des habitats sont détruits, des animaux tués ou des territoires pollués, cela nous affecte directement. Selon Weller, elles sont très présentes ces dernières années. Le problème est que la souffrance du monde nous dépasse. Rester présent, les yeux ouverts, demande du courage, des convictions et du soutien. Cette porte témoigne de la séparation avec la Terre.
  4. Tout ce que nous attendions et que nous n’avons jamais reçu de la part de la tribu.
    Pendant des milliers de générations, nous avons été façonnés à nous sentir parties d’une communauté d’humains et d’êtres vivants. Cette identité élargie dont nous sommes presque complètement coupés aujourd’hui suscite un manque criant dont nous ne soupçonnons pas vraiment l’existence. C’est une porte qui témoigne de la séparation avec la mémoire du long terme.
  5. La peine ancestrale.
    Cette peine transgénérationnelle est tapie au fond de nos cellules et provient des traumatismes de notre lignée personnelle ou des grandes tragédies collectives. Ce sont toutes ces souffrances endurées par nos ancêtres qui n’ont pas été digérées et dont nous n’avons pas été libérés. Cette porte témoigne de la séparation avec les ancêtres.

Azul propose que ces cinq portes servent aussi à nous initier respectivement à cinq types d’appartenance profonde (deep belonging).
« À partir d’un point de séparation, nous traversons une porte, puis, grâce à des pratiques et à travers notre gratitude, nous retrouvons cinq états naturels d’appartenance. »

PS • Ton travail consiste donc à effectuer une sorte de renversement culturel : aider les gens à traverser ces affects très puissants, à ne pas en avoir peur, et à le faire collectivement, alors que notre culture nous a appris au contraire à les éviter ou à les vivre seul…

A • Ce qui est paradoxal, mais fondamental, c’est de comprendre qu’on peut s’ouvrir à ce qu’on aime à travers le travail de la peine et du deuil. La peine permet des liens profonds avec tout ce qui est vivant, avec ceux auxquels on tient vraiment. On a tous envie de les protéger, de les aimer et de faire en sorte qu’on leur fasse moins mal.

Il faut rendre ça collectif ! C’est comme ça qu’on a toujours fait, nous, les humains. C’est important de ne pas laisser les autres isolés, de ne pas s’isoler aussi quand on ressent tout ça.

On doit absolument transformer notre culture du « rester seul à souffrir dans sa chambre, dans la honte et l’humiliation »… C’est très brutal pour la psyché des Occidentaux !

Tu vois, ici, à Londres, après le rituel qu’on a fait hier, j’ai été vraiment touchée par ces personnes qui sont venues me voir après pour me dire que le fait de pleurer et de se montrer leur avait donné de la force. Elles m’ont dit : « Je n’avais pas compris et je ne savais pas. Merci. » C’est ça de se montrer l’un à l’autre, dans l’amour. L’amour et le chagrin sont inséparables.

J’ai mis du temps à comprendre ça. Avant, je pensais que si je me montrais vulnérable, les autres en face allaient croire que j’étais faible, que j’étais un poids… Alors qu’au contraire, on se rend compte que se montrer vulnérable, c’est rester engagé dans la connexion, c’est l’une des plus belles choses qu’on puisse faire entre humains.

PS • Tu dis que tu as mis du temps à y arriver. Quel a été ton parcours ?

A • J’ai une longue histoire avec la mort, depuis toute jeune… La négligence de dix familles d’accueil les trois premières années de ma vie, la guerre du Liban quand j’étais enfant, en 1975, une première tentative de suicide à 14 ans en 1980, un retour à Beyrouth pour me battre en 1984, etc.

Je suis passée par des périodes difficiles… J’ai même été jusqu’à un séjour en hôpital psychiatrique. Je venais d’une société où tout était pathologie, diagnostic, médicament, etc. Je voulais absolument sortir de cette ambiance, c’était trop limité pour moi, il n’y avait pas de poésie, pas de curiosité, pas de beauté, pas de danse, pas de sens… J’étais complètement « zombifiée ». L’époque la plus effrayante de ma vie.

Je me souviens à Sainte-Anne, à Paris, je suis restée trois mois, l’enfer. Après, je n’arrivais plus à traverser la rue, j’avais peur, j’ai réalisé que j’étais devenue « institutionnalisée » ! Je me suis dit qu’un jour j’écrirais un livre sur cette expérience. J’ai vraiment voulu créer quelque chose de différent pour les gens comme moi, qui sont en quête de rites de passage, en quête d’initiation et qui sont enfermés dans les hôpitaux… À un moment, j’ai décidé de fermer la porte de la pathologie et d’aller vers la « pathosophie » ! [rires]

C’était vers 2013, à l’époque où on s’est croisé pour la première fois. Je pense comme l’auteur Martín Prechtel que les maladies sont des larmes qui ne sont pas sorties, qui ont fossilisé. Si on arrête d’aimer et de pleurer, on tombe malade.

L’âme nous initie, qu’on le veuille ou non, et ça passe par le deuil. La peine profonde est une initiation.

L’oubli de ces langages de l’âme nous a perdus, désemparés, apeurés… et le pire, c’est que ça nous rend beaucoup plus vulnérables quand on doit faire face à des pertes très banales et à des catastrophes. Comme le dit Joanna Macy, les conséquences de cette amnésie sont la dépression, l’anxiété et la solitude.

PS • Tu as parlé de Joanna Macy et de Francis Weller ; quelle a été leur influence sur ton parcours ?

A • Joanna Macy nous a bien montré ça depuis plus de 40 ans : embrasser sa peine pour le monde, montrer sa vulnérabilité, ça aide à créer des liens très forts avec les autres. Quand tu la vois entrer dans un cercle et sortir sa tristesse et sa colère, puis revenir exercer son rôle d’animatrice…

C’est impressionnant ces rôles de mentors qui permettent d’aller dans l’émotion et dans l’amour, et de pouvoir aussi enseigner, offrir…

C’est ça aussi qui fait du bien dans le fait de pleurer ensemble, ça crée une permission. C’est un retour que j’ai des gens, fréquemment. Quand je m’autorise à le faire, l’autre en face se dit qu’il peut aussi s’autoriser à pleurer sans se sentir submergé.

PS • Et Francis Weller ? Je le connais juste par son livre magnifique sur le travail sacré du deuil…

A • Je connaissais déjà Joanna Macy depuis 1998 et je cherchais des gens qui étaient aussi robustes, qui avaient déjà eu un chemin, qui avaient de l’expérience… des anciens, quoi ! Et j’ai fait la rencontre de Francis Weller. Il est psychothérapeute, il a fait un long chemin personnel, mais aussi collectif, pour trouver une autre façon d’accueillir la douleur et la peine.

Il a créé des rituels et accompagne les gens atteints de cancer dans un institut en Californie, des gens qui sont en train de mourir. Il les aide à passer. Il a aussi été formé à la culture du peuple Dagara, du Burkina Faso.

J’ai fait la rencontre de ces deux personnes quand j’étais dans une dépression totale, il y a six ans. Francis Weller, c’était d’abord une petite vidéo sur YouTube qui m’a profondément marquée, où il disait que la dépression arrive quand « l’âme refuse d’aller plus loin avant de ressentir toute sa peine et son deuil ». Alors je lui ai écrit, je lui ai dit que je devais commencer un travail, que ma vie en dépendait, et il est devenu mon mentor.

Il m’a encadré pour mon mémoire de master sur le travail sacré du deuil. Il m’a aidée à enrichir mon vocabulaire de l’âme, à transformer ce que j’avais « pathologisé » en quelque chose de vivant et de créatif. Il parle de métaphores au lieu de pathologies.

Je suis partie de l’école humiliée, mais avec lui mes douleurs et mes peines sont devenues enfin intéressantes, légitimes. Il ne se moquait pas quand je lui disais que j’écoutais l’eau, que les arbres me parlaient. La poésie, le dessin, la danse, le chant… j’en avais tellement besoin, j’avais soif de ça ! Le langage de l’âme, ça soutient tous les gens qui sont entre les deux mondes.

Les influences : Sobonfu Somé, Francis Weller et Joanna Macy

Les influences

SOBONFU SOMÉ était enseignante, autrice et activiste burkinabée, de la culture Dagara, gardienne des rituels et des sagesses africaines qu’elle enseignait aux Occidentaux. Elle est décédée en 2017.
Vivre l’intimité : la sagesse de l’Afrique au service de nos relations, Jouvence, 2001.

FRANCIS WELLER est psychothérapeute, écrivain et « activiste de l’âme ». Inspiré par ses pratiques thérapeutiques et par la sagesse des cultures indigènes, il a développé des rituels autour du deuil et mis en évidence les cinq « portes » de la peine (voir plus haut). Son « travail » (the work of grief) consiste à inviter les gens à « déballer » (unpack) leurs peines les unes après les autres, en cercle, jusqu’à ce que la personne se sente à nouveau pleinement en vie.
The Wild Edge of Sorrow: Rituals of Renewal and the Sacred Work of Grief, North Atlantic Books, 2015.

JOANNA MACY est une activiste et autrice, spécialiste du bouddhisme et de la théorie des systèmes. La majorité des gens semblent indifférents aux catastrophes que subit le vivant. Mais, pour Joanna Macy, les gens ne sont pas indifférents, simplement ils refoulent leur empathie par peur de souffrir. Elle propose de sortir de ce déni et d’accepter la douleur pour pouvoir entrer dans l’action, grâce à une méthodologie (le Travail qui Relie) visant à approfondir notre connexion à la Terre et au vivant tout en nous préparant à faire face aux risques d’effondrement.
L’Espérance en mouvement. Comment faire face au triste état du monde sans devenir fous, avec Chris Johnstone, Labor et Fides, 2018.

PS • Et la culture Dagara a donc été une source pour lui et pour toi ?

A • Oui, la troisième rencontre décisive a été avec Sobonfu Somé. Elle vient de cette culture Dagara du Burkina Faso. Je l’ai rencontrée en Angleterre. Elle est morte avant que je puisse aller la voir dans son village, mais elle m’a dit deux choses qui ont changé ma vie.

La première, c’était qu’il y avait des rituels de deuil toutes les semaines dans son village, pour « l’hygiène de l’âme ». J’ai compris qu’on n’avait pas besoin de grandes crises pour faire ces rituels, qu’on pouvait en faire régulièrement, juste pour garder le cœur ouvert et conserver du lien avec toutes les vies de toutes les espèces. Ça m’a fait trembler de partout.

C’est fou d’avoir perdu ça en tant qu’Européen·e·s. On n’a pas de lignées intactes derrière nous… Et c’est pour ça qu’au début je ne me suis pas sentie légitime sur les rituels. C’est cette rencontre qui m’a motivée pour ma maîtrise de master, je voulais amener ça à Totnes toutes les semaines ! C’était décidé !

La deuxième chose qu’elle m’a dite, c’est : « Ne te suicide pas, ça ne sert à rien, parce qu’il va falloir que tu reviennes. Tes ancêtres sont vraiment désolés pour ce qui s’est passé dans ta vie. Tu dois renégocier le contrat que tu as avec eux. »
J’ai aussi tremblé comme une feuille. Je ne savais pas comment j’allais faire, mais je savais que c’était vrai.

Ces deux phrases ont changé ma vie, ça m’a passionnée. Sobonfu a su éveiller ma curiosité, elle m’a donné quelque chose à travailler. Et j’ai vraiment bossé !

PS • Comment se passent les rituels du peuple Dagara ?

A • Sobonfu – qui veut dire « la Gardienne des rituels » – nous racontait que dans son village, il y a un rituel toutes les semaines, sans exception. Tout le village s’y mêle. Les enfants sont là et voient les adultes faire ce travail sacré qui consiste à rester le cœur ouvert, en phase avec la vie.

Les trois rituels auxquels j’ai eu l’honneur de participer comprenaient trois autels : un autel pour les Ancêtres, un pour la compassion et le pardon de soi, et un troisième pour le Deuil. Pour cette culture, nos larmes et notre souffrance sont un cadeau à nos ancêtres, à la terre sous nos pieds et aux générations futures de toutes les espèces… En exprimant notre peine ensemble, nous créons donc des sanctuaires !

Pour le rituel, nous apprenons une chanson que nous chantons pendant 4-5 heures, pour honorer les ancêtres. Tout est très précis, une chorégraphie minutieuse et attentive au visible et à l’invisible. Ça aide à être constamment connecté·e avec ce qu’on est et avec les autres.

Les liens, les vrais liens se construisent par les émotions.

Si on ne faisait pas ça, disait-elle, on commencerait à détruire, parce que c’est le lien qui répare.

PS •  Tu parlais de mémoire de master, ça consistait en quoi ?

A • J’ai fait une année de formation en « Ecological Design Thinking » au Schumacher College, à Totnes. C’est la petite ville de Rob Hopkins, d’où est parti le mouvement de la transition. J’y ai découvert ce qu’on appelle la pensée de l’écologie profonde. Et puis, au cours de l’année, je me suis dit : « Mais on n’a pas besoin de nouvelles idées écologiques ! » [rires]

On a besoin de ressentir. Qu’est-ce qui nous en empêche ? Qu’est-ce qui se passe au niveau du cœur, au niveau de l’âme, au niveau des émotions ? J’ai l’impression qu’on ne ressent rien et que l’on continue à collectionner toujours plus d’idées alors qu’on a déjà toutes les idées possibles… Qu’est-ce qui bloque au niveau du cœur ?

Pour finir l’année, je devais faire un mémoire, alors je l’ai fait sur les rituels autour du deuil et de la mort. Je voulais retrouver le chemin de l’âme, des rituels, des cérémonies, de la poésie, de la connexion avec la Terre, mais concrètement ! J’ai commencé en créant des Tentes noires (basé sur les « tentes rouges » que pratiquent beaucoup de femmes) pour créer un endroit qui ressemblait à une grotte, à une matrice de l’âme. Un endroit pour que l’âme s’y retrouve, s’initie et renaisse en communauté. L’accueil se fait toujours en lavant les mains des personnes, ça les calme, ça les amène dans leur corps, leur tendresse et le soin.

Un chant et un tambour tissent un son qui honore nos ancêtres et nos alliées. Nous nous asseyons en cercle, et ça commence…

PS • Donc, après ce mémoire, tu as continué à créer des rituels et tu y inclus beaucoup d’art, de dessins, de poésie, de chants, etc.

A • Oui, j’en avais vraiment besoin. C’est une sorte de réponse à notre monde non initié, traumatisé, en cours d’effondrement et de transformation. Je me disais qu’il y avait un autre langage à apprendre, à réapprendre. Joanna, Sobonfu et Francis m’ont montré le chemin, et j’ai continué ma route. Mais les gens qui parlent le langage de l’âme, les poètes, il y en a partout.

Ces rituels, tout le monde peut y participer. C’est sûr que c’est souvent plus dur pour les hommes, car il y a beaucoup de blessures et de traumatismes. Pour les peines et le deuil, il faut vraiment créer un contenant puissant et particulier, pour que chacun puisse s’ouvrir. Le rituel, c’est un endroit et un moment où l’on peut se poser.

C’est comme une petite mort, et au bout il y a une renaissance. C’est ça, l’initiation. Et quand tu n’as pas le langage de l’âme, tu ne peux pas faire de rituels de passage ! Il n’y a pas d’initiation possible.

De toute façon, l’âme nous initie, qu’on le veuille ou non, par les crises et les accidents de la vie. Tu peux avoir des initiations brutales si elles ne sont pas accompagnées. Alors je préfère prendre soin des gens et trouver des méthodes pour les accompagner.

Tu sais, je pense même que le suicide est un appel désespéré à un rite de passage… C’est comme ça que je le vois. C’est valable au niveau individuel, mais à mon avis aussi au niveau collectif. L’espèce humaine est en train de se suicider, de détruire ses propres ressources. N’est-ce pas un appel désespéré ?

PS • Pourquoi des rituels autour de la peine et pas de la joie ? En quoi le deuil permet-il d’aller vers la vie ?

A • Il faut le vivre, pas en parler ! [rires] Non, l’initiation, ce n’est pas que la peine. C’est une invitation à se pencher sur l’âme de ce que j’appelle « les quatre sœurs » : la peine, l’amour, la mort et la naissance. Forcément, ça passe par le deuil parce que ça représente la perte d’une phase de notre vie.

La perte de l’enfance, de l’adolescence, du célibat, etc. Ce sont des étapes, et il y a toujours des deuils, tout le temps ; c’est pour ça que le peuple Dagara fait des rituels toutes les semaines.

Le deuil et la peine aident à ouvrir les sens, ça permet d’aller vers le sauvage, vers son animalité, vers soi-même.

On pense qu’on sait ce qu’est l’amour, mais on ne sait pas. Je viens de me réveiller après 53 ans ! Je commence à peine à apercevoir ce qu’est la mort, après tout mon parcours. C’est l’eau qui m’a appris. Appris à devenir un don. Tous les êtres sont au service de la vie, pour que la vie prospère. C’est quelque chose qui traverse toutes les espèces… sauf nous !

Pour devenir un peu plus sain et retrouver un peu plus d’humanité, je pense qu’il faut être au service total de la vie. Les rituels et le travail autour du deuil, c’est comme le métier de doula, tu sais, ces femmes qui aident à l’accouchement.

Il faut aider à traverser une douleur qui amène à la reconnexion, à la vie, à tout ce qui a un sens… Je vois bien que les gens sont revitalisés par ces rituels. Savoir traverser la peine et la douleur, ça sert pour tout : pour la vie quotidienne, pour les catastrophes et aussi pour le réensauvagement.

PS • En décembre 2016, tu as reçu un message de l’eau. Pour un esprit rationaliste, c’est incompréhensible. Mais c’est quand même un message très fort, que j’aime beaucoup. Tu peux nous en parler ?

A • À Standing Rock, aux États-Unis, en décembre 2016, comme tu sais, des milliers de personnes de centaines de tribus des premières nations d’Amérique se sont rassemblées pour protéger leur rivière. À cette époque, le monde continuait à s’effondrer, mon cœur n’en pouvait plus, j’avais vraiment mal à l’âme. Alors j’ai décidé d’aller à la rivière, ici, dans le Devon, une rivière que j’aime profondément. Et je lui ai dit : « Ma chère rivière, mon amie, mon guide, mon professeur, comment puis-je continuer à aimer alors que tant de choses se perdent ? »

Je me suis écroulée sur les genoux, ma tête à moitié dans l’eau, il faisait froid. Je pleurais de tout mon cœur. À un moment, j’entends une voix qui n’est pas la mienne, mais qui est dans mon être. Je reconnais la voix de Gaïa. J’ai pris mon téléphone et je me suis enregistrée… Voilà comment le message de l’eau m’est venu et a changé le cours de ma vie !

Après ça, pendant quatre mois, j’étais terrorisée… jusqu’à ce que je rencontre Jon Young au Schumacher College, où il est venu enseigner en mars 2017. J’étais anxieuse quand je lui ai lu le message de l’eau… et il s’est mis à pleurer ! Ça m’a donné tellement de courage ! Il a pris sa guitare et il a chanté. C’était magnifique. Tout le monde pleurait dans la salle.

C’était prendre un risque d’oser parler de ce message. J’avais peur de partager ça, c’était une peur ancestrale en rapport avec la persécution et le massacre des sorcières. Mais je savais qu’il fallait quand même en parler. C’était ma tâche, ma guérison. Je trouve que si on se ferme à ce message, on se dévitalise. En fait, le coût de ne pas suivre ce message est tellement élevé ! Voilà pourquoi je le partage sans cesse à qui veut bien l’entendre.

Le message, c’est que tous les êtres nous attendent. Nous, les humains, nous sommes légitimes dans la toile de la vie. La vie ne veut pas qu’on parte. C’est un message qui touche les gens. Je l’ai lu en public pendant la rébellion à Londres, c’était magnifique. On a tellement l’habitude d’entendre qu’on n’est qu’un cancer, que ça serait mieux qu’on disparaisse, etc. Et tout d’un coup il y a un message d’amour profond. Et tu te dis : « Eh, mais en fait je ne sais pas aimer… Ah merde ! » [rires]

Ce qui touche le plus les gens dans ce message d’amour des autres êtres aux humains, c’est qu’ils ne nous en veulent pas. Ils sont prêts à mourir. C’est extraordinaire.

Le message de l’Eau

Le 2 décembre 2016, Azul reçoit un message de l’eau de la rivière Dart, en Angleterre. Ce message est devenu un guide pour son travail et pour sa vie. Voici le message :

« Mes chers enfants, ne vous inquiétez pas pour moi, l’Eau. Je me rétablis rapidement grâce à des chants d’oiseaux, à l’amour des arbres, au mouvement, aux moments de repos et aux prières qui voyagent autour de notre Terre. Je retrouve l’équilibre grâce à vos larmes sincères et à vos prières, qui à présent rejoignent celles de tant d’autres. Ne consacrez pas votre énergie à me “sauver”. Quelque chose de plus profond a lieu en ce moment même, écoutez et observez !
Nous toutes et tous – terre, eau, plantes, air, animaux et tous les ancêtres –, nous vous appelons à nous, afin que nous puissions sauver votre espèce. Nous savons et nous savions depuis un moment déjà que vous ne disposez pas de beaucoup de temps si vous ne vous réveillez pas à votre droit d’aînesse et d’appartenance à la Terre et si vous ne retournez pas chez vous bientôt, vraiment très bientôt.
Nous continuerons à mourir, nous continuerons à donner nos vies pour vous secouer d’une profonde et très longue amnésie. Lorsque vous pourrez permettre à la vérité et à la qualité de cet Amour d’imprégner votre être traumatisé et votre âme désolée, vous vous réveillerez d’une vie anesthésiée, endormie, pour vous ouvrir à votre immense douleur et à votre capacité d’Amour.
Lorsque vous créerez des contenants de beauté sacrée qui ouvrent votre Cœur à ce qu’est réellement l’Amour, vous vous rendrez compte dans un sanglot profond que vous avez été aimés depuis toujours et pour toujours par tous ceux et toutes celles que vous pensez devoir sauver.
Votre espèce a cinq ans pour se réveiller, devenir mature et se souvenir, jusque dans ses os, qu’elle appartient à cette Vie.
 »

PS • Ça a changé quoi pour toi ?

A • Mon écoute, mon arrogance, mon importance, cette impression de vouloir « sauver » le monde. Au lieu de vouloir le sauver, je me suis mis à l’aimer plus. Mais ça veut dire qu’il faut marcher avec un cœur brisé. C’est une pratique, une discipline, un apprentissage quotidien. Quand je ne pleure pas un jour, je suis inquiète. Parce que mon cœur se durcit.

J’ose le dire maintenant… Car ça veut dire que je peux créer du tort, que je peux me déconnecter des gens, que je reviens dans l’efficacité. Un jour où je ne pleure pas, je le sens, ça se referme là [elle montre son cœur]. Je me suis mise à chanter tous les matins, ça aide à ouvrir le cœur. Je réalise que je suis amoureuse, je suis comme un enfant émerveillé. C’est comme un érotisme sauvage. Je ne suis plus blasée, tout est magnifique ! C’est un cadeau inattendu. Mais peut-être que ça vient aussi avec la vieillesse et la ménopause ! [rires]

En fait, le travail du deuil amène de la présence. Maintenant, quand un arbre tombe, quand une rivière meurt, je hurle d’amour, tu vois ?

PS •  Et alors, qu’est-ce que tu fais quand une espèce disparaît ? [rires]

A • [Elle se prend la tête dans les mains] Quand tout d’un coup, tu apprends qu’il y a 200 espèces par jour qui disparaissent… tu vas te coucher, tu pleures et tu te dis : « Deux cents espèces qui viennent de disparaître… Mais quel choix on a maintenant ? Soit on se déconnecte de sa sensibilité, soit on plonge dans la peine. Mais si on plonge, il faut un apprentissage. »

C’est vraiment une pratique d’être en conversation avec le deuil et avec la mort.

J’ai réalisé que notre société n’avait aucune relation avec la mort ! Et donc on n’a aucune chance d’aller à la rencontre d’un monde où il y a tellement de choses qui sont en train de mourir… C’est impossible d’y aller seul, il faut rassembler d’autres cœurs brisés qui aiment la vie !

Alors, en 2018, on a créé ce « life cairn » (voir ci-dessous). C’était magnifique. C’était une réponse collective à ces extinctions, une réponse de notre communauté. Comment allons-nous pouvoir honorer ces espèces, créer de la beauté avec nos hurlements et nos larmes, et se pardonner ?

Le « Life Cairn » à Totnes

« Des centaines, voire des milliers d’espèces d’animaux, d’invertébrés, de champignons et de plantes ont disparu ces dernières années. Elles ne pourront plus jamais faire la cour, chanter, nicher, semer ou danser leurs rituels d’initiation à la vie. C’est insupportable ! Elles ne sont pas simplement mortes (car la mort est la nourriture pour la naissance d’une nouvelle vie), non, elles se sont éteintes ! C’est bien plus fort, c’est une extinction, une vraie amnésie. On perd des fils de la trame de la vie. »

Le 1er décembre 2018 à Totnes (Angleterre), à l’initiative d’un petit groupe dont fait partie Azul, une foule de 150 personnes s’est réunie pour une procession silencieuse suivie d’un rituel appelé « cairn de vie » (life cairn) à la mémoire des espèces disparues. Il s’agissait de les honorer, en compagnie d’artistes, de musiciens, d’enfants, de personnes âgées, de mères et de pères, amoureux de toutes sortes…
En haut de la colline, elles ont placé une stèle avec le nom des espèces disparues, chacune représentée durant la procession par un tissu de 20x20cm peint par les enfants.

« Dans la procession, naturellement, les enfants marchaient devant. C’était important pour eux de peindre ces drapeaux, de rechercher et d’exprimer leur tristesse, et aussi d’être enfants : au bout de 10 minutes, ils sont allés jouer et c’est normal. » Ces rituels permettent à chacun d’exprimer et de partager une immense peine (redoutée par beaucoup d’entre nous) pour la transformer en élan de vie et d’action.

Pour Azul, « ce rituel répond à la nécessité de nous rassembler pour faire face à l’effondrement du vivant et à la démesure des conséquences de notre déconnexion. »

PS • Tu es donc très engagée dans les mouvements Extinction Rebellion (XR) et Deep Adaptation en Grande-Bretagne…

A • Oui, on a fait une cérémonie samedi dernier pour les deux baleines qui sont mortes dans la Tamise. C’est une sorte de réflexe, maintenant : lorsque tu as mal, tu appelles les autres, et si vous avez mal ensemble, vous faites une cérémonie pour honorer ce que vous venez de perdre. La vitalité après la cérémonie est extraordinaire ! On va boire un café et on est dans la vie ! En fait, il s’agit de transformer ce qu’on ressent, ensemble.

C’est ce que j’appelle le « compostage ». Les gens ont peur de ces affects, ils pensent qu’ils vont perdre pied, perdre leurs moyens ou arrêter de lutter. Mais ce n’est pas possible, je n’ai encore jamais vu quelqu’un se noyer dans son deuil, surtout si c’est ritualisé. En traversant ça ensemble, c’est totalement le contraire qui se passe !

En avril, j’avais amené ma tente noire à Londres, sur le pont de Waterloo, pour l’action XR. On l’a montée dans l’action. Tous les jours, il y avait un cercle de deuil, de « composting » pour les activistes. C’était un truc très simple, parce que je ne pouvais pas faire un grand rituel de quatre heures ! Il fallait qu’on soit rapide : c’était d’abord de la gratitude, puis ce qui pèse sur ton cœur (et ça, c’était long !), puis la question : « qu’est-ce qui te ressource pour pouvoir retourner dans l’action ? ».

Il y a des gens qui restaient et se reposaient, ça les énergisait, ils se sentaient en lien, soulagés, en joie aussi de voir qu’ils n’étaient pas seuls à ressentir ces peines et ces colères. C’est ça la plus grande des choses. Ce que je propose aussi, c’est de ne pas parler beaucoup, parce qu’on a trop tendance à attacher un sentiment à une histoire. Et comme notre mental est tellement épuisé, je leur dis de faire un son. Juste un son, de laisser bouger l’eau, le feu… qui les reconnecte à eux, au sauvage, à nous.

PS • Il y a un paradoxe, ou plutôt un malentendu, c’est que beaucoup de gens croient que le processus de deuil, c’est aller vers la fameuse cinquième phase « d’acceptation » d’Elizabeth Kübler-Ross, et que ça impliquerait de renoncer à se battre. Autrement dit que le deuil désamorce les luttes. Et toi, tu dis que ça donne de la force, que ça rend plus puissant…

A • C’est Joanna Macy qui a commencé avec ça dans les années 1980, lorsqu’elle a créé la spirale du Travail qui Relie. C’est elle la première dans notre monde de l’Ouest, elle savait. Pour les activistes, c’était ce processus ou le burn out. Ce que répètent tous les anciens et les enseignants, c’est qu’il faut que le deuil démarre avec la gratitude. Le lit de la rivière, c’est la gratitude. Tu ne vas pas directement dans le deuil, ce n’est pas responsable. Tu ne peux pas ouvrir les gens à leur vulnérabilité et leurs souffrances, et les laisser juste comme ça…

Il faut faire gaffe. C’est très important la pratique, l’éthique. Avec Extinction Rebellion, j’étais un peu inquiète de la rage et de la colère, mais ça s’est bien passé. Ça m’a fait penser à une mère qui aime tant ses enfants, tu sais, la rage de sauver ses enfants… ce n’est pas de l’énergie de destruction !

Moi je ne suis pas de ceux qui vont faire des actions. Je suis dans la partie « régénération » (des activistes). Il y a des rôles différents. Certains viennent nous voir, d’autres pas. Bref, ce que j’ai vu après toutes ces actions XR, c’est que les rituels reposent les gens, créent du lien, donnent de l’énergie, revitalisent.

PS • Et en dehors d’XR ? On fait appel à toi ?

A • On ne m’a pas encore appelée dans les ministères ! [rires], mais, oui, je ne veux pas m’enfermer dans XR, surtout que je pense qu’XR va mourir bientôt. [rires]

L’urgence maintenant, c’est d’aller travailler avec les réfugiés, par exemple les Syriens. Les personnes qui accueillent, et aussi les réfugiés eux-mêmes. Ces gens-là vivent des horreurs et ils n’ont rien pour déposer, rien ! Pas une réunion, pas un cercle… C’est brutal !

En fait, tout le monde en a besoin ! Je propose qu’on fasse ça partout, une fois par semaine, réfugié ou pas, comme au village africain. C’est nécessaire… Le cercle qui t’accueille dans tes douleurs, qui te tient pour ne pas que tu traverses ces peines tout·e seul·e.

PS • En fait, tu offres une carte, une boussole et un accompagnement pour naviguer et explorer ce territoire à la fois sombre et lumineux que notre culture a oublié.

A • Comme dit un « activiste de l’âme », Steven Jenkinson, nous sommes orphelin·e·s et sans domicile (homeless), nous sommes devenu·e·s des zombies. Nous avons donc besoin de trois choses : de retrouvailles, d’appartenance et de redevenir vivants.

PS • Nous ?

A • Les Occidentaux, les modernes, les urbains, les déconnectés, les amnésiques et les anesthésiés. On a peur des rituels et des émotions !

Tu te souviens de ce que dit Joanna Macy dans les ateliers : pour chaque affect, il y a un bon côté. Derrière la peur pour l’avenir ou pour nos vies, il y a le courage, le courage d’affronter la souffrance avec le cœur ouvert. Derrière la colère, il y a la rage pour celles et ceux qui sont lésés, la passion pour la justice, et on a besoin de cette énergie pour avancer.

Derrière la tristesse et la peine, il y a l’amour pour ce que nous pleurons. Derrière la confusion et le vide, il y a la légèreté et la création. Ces émotions ont aussi leurs défauts et leurs risques, mais il ne faut pas les rejeter sous prétexte que c’est irrationnel.

Les émotions sont aussi des guides, il faut les accueillir et les « composter » ensemble.

Moi, je dis bienvenue à la dépression, je dis bienvenue à l’anxiété, je dis bienvenue à tout ! Je pense que, dans la vie, quand les choses sont bienvenues, elles se relaxent. Quand une personne arrive à un rituel et me dit : « Ah, je suis trop anxieuse, je suis trop déprimée, etc. » Je lui dis : « Bienvenue ! Amène tout ça dans le cercle. » Puis, quand tu demandes au cercle : « Qui d’autre se sent comme ça ? », tout le monde lève la main ! [rires]

Dire qu’on ne veut pas de dépression ou d’anxiété… Mais tu imagines ? C’est terrible, ça rejette les gens qui ressentent ça, ça coupe tout de suite avec tes profondeurs, et finalement on reste en surface, on s’anesthésie.

Les émotions, il faut les accueillir, les rendre légitimes. On a tout·e·s envie d’être légitimes dans nos douleurs et nos souffrances, on recherche les bons mots. Le langage de l’âme offre beaucoup de vocabulaire pour nommer et clarifier. Les praticiens du deuil et de l’âme utilisent le chant, la poésie, la danse, la musique, les mythes, les métaphores.

Heureusement, il y en a de plus en plus.

PS • Maintenant, tu formes des praticiens ?

A • Mon chemin, maintenant, c’est d’aider les femmes et les hommes qui veulent créer des cercles de « compostage de deuil » (grief composters) dans leurs groupes et communautés. Un apprentissage de rituels, de pratiques et de disciplines pour un retour à l’âme de Gaïa, l’Anima mundi. Il y a beaucoup de travail…

PS • Merci beaucoup Azul pour tout ce que tu fais !

Pour aller plus loin :  www.souland.org
dont une page en français : www.souland.org/en-franccedilais

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