Sans les classes populaires, l’écologie se perd dans un entre-soi d’intellos à bicyclette

crédit photo @ Léo Vignal

L’écologie est dans toutes les têtes et sur tous les titres. Mais l’est-elle au sein de toutes les classes ? Des Soulèvements de la Terre à l’écologie pirate, les discours et les pratiques écologistes se réinventent pour davantage prendre racine par le bas.

« L’écologie, un truc de bourgeois ? » titrait Socialter en mars 2024 alors même que 78 000 Parisiens s’attardaient, en février dernier, sur la triple taxation ou non de la tarification des véhicules les plus lourds, plus communément nommés SUV. Pour Paul Guillibert, chercheur en philosophie au CNRS, ces pirouettes s’apparentent davantage à « une écologie vulgaire moralisatrice et technosolutionniste, en somme celle des gouvernements ». Dans son dernier ouvrage Exploiter les vivants paru aux éditions Amsterdam en août 2023, il entend dépasser le discours commun – qui ferait la part belle à l’écologie technique et consommatrice – pour questionner la production, absente des pensées écologistes. « Il faut partir de la notion de travail. Du travail humain évidemment, mais aussi du travail du vivant en général », car « les travailleurs sont au cœur de l’appareil politique », déclare-t-il. Une écologie vraiment émancipatrice nécessiterait, selon lui, de « replacer la production capitaliste au cœur de la crise », afin de « rendre possibles de nouvelles alliances entre travailleurs et écologistes, entre humain et autres qu’humains ».

Sédimenter les forces vives donc. Un appel auquel les Soulèvements de la Terre (SDLT), un mouvement opposé à l’accaparement des terres et luttant contre certains projets d’aménagement, tentent de répondre en « fédérant le plus grand nombre possible de militants et groupes issus d’horizons idéologiques différents ». En filigrane de leurs actions, il y aurait la volonté de « construire une autonomie politique populaire forte ». Pour Paul Guillibert, les SDLT sont « radicaux et tactiques » mais ne représentent pas en encore un « contre-pouvoir ». En revanche, la lutte GKN à Florence est l’illustration même de la réappropriation des questions écologiques par des luttes syndicales. N’en déplaise à André Gorz, philosophe, qui voyait à travers l’écologie,

« une autre vision de l’homme,
libéré du capitalisme et de
la société industrielle »
.

Car oui, l’écologie est une vision. Et non « une question séparée, qui à son ministère, ses adhérents et ses opposants », comme le déplore Frédéric Lordon. Dans un climat « anthropocide » plus « qu’écocide », le philosophe et économiste français pointe du doigt la bourgeoisie. Et il affirme « que les autres humains et la nature ne sont que des instruments de sa jouissance ».

 

Se libérer des injonctions du haut

Il n’en fallait pas plus au syndicat Front de mères et à l’association Alternatiba pour créer la première maison de l’écologie populaire en Seine-Saint-Denis, à Bagnolet. Sous le nom de Verdragon, ils mettent en place des projets écologiques au plus près des besoins des habitants des quartiers populaires. Car « ce sont les milieux populaires et particulièrement les personnes racisées qui sont et seront les plus touchées par l’aggravation du changement climatique » rappelle Alternatiba dans un communiqué de soutien. À l’instar de cette initiative parisienne, née en mai 2021, Féris Barkat, strasbourgeois, cofonde l’association Banlieues climat, fin 2022. Opposé à un discours écologique « déconnecté des réalités des classes populaires », il souhaite sensibiliser les jeunes de banlieue à ces enjeux et leur permettre, à leur tour, d’être formateur.

Ces interventions, venues  d’en bas, serait un moyen pour les habitant.es de faire face à la « pression de l’écologisation ». En lisant le sociologue Hadrien Malier, auteur d’une thèse sur les rapports que les classes populaires en Île-de-France entretiennent avec l’écologie dominante, on comprend une chose : le discours écologique employé envers ces classes est culpabilisant et discriminatoire. De 2014 à 2018, il enquête et suit des programmes d’accompagnement à l’adoption d’écogestes en banlieues HLM. Commandés par des mairies et des bailleurs sociaux, les associations en charge de ces programmes « toquent à la porte des ménages pour faire un bilan de leurs pratiques et leur distribuent des kits écogestes (avec sablier de douche, ampoule basse consommation) » observe-t-il. Pour Gaëlle Ronsin, journaliste à la revue Silence, « la pression à l’écologisation est plus forte et intrusive quand il s’agit des classes populaires alors même que c’est le groupe social qui a l’empreinte carbone la plus faible de par son style de vie qui est davantage façonné par la contrainte économique ».

Fatima Ouassak, politologue, autrice et fondatrice de Front de mères, interroge « est-ce l’humanité que l’on veut sauver ou juste sa fraction blanche et fortunée ? Quelle écologie défendons-nous ? ». Dans son court essai intitulé Pour une écologie pirate (La découverte, 2023), elle rappelle que « personne n’est plus sensible au désastre écologique que les populations vivant en périphérie des grandes métropoles ». Face à l’écologie bourgeoise, elle proclame l’écologie pirate, « un projet de résistance qui a comme objectif la libération de la terre et comme horizon l’égale dignité humaine et la liberté de circuler ».

Lire aussi : [LIVRE] Pour une écologie pirate… et populaire, avec Fatima Ouassak !

Et devenir pirate, c’est Frédéric Lordon qui le recommande. Puisque pour lui, « c’est un rêve de singe d’imaginer venir à bout des intérêts des dominants depuis l’intérieur du cadre politique que se sont donnés les dominants », il appelle « à la logique, unique solution pour ne plus nous laisser détruire et pour arrêter de tout perdre ».

Bibliographie

Quelles écologies dans les quartiers populaires ? – Revue Silence, janvier 2024

Banlieues et climat, quand l’écologie prend ses quartiers par Léa Dang – Revue Socialter, février/mars 2024

Une solution verte, écologique et durable – conférence par Frédéric Lordon publiée par Éthique et tac, 26 octobre 2023

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