Tant que nous mangerons des fruits, légumes et céréales manipulés par l’industrie et détruits par la sur-cuisson, tous nos efforts face au risque de pénurie alimentaire seront vains. Explications avec Yann, membre des Gars’pilleurs.
Créer un potager chez soi, ou participer à un jardin partagé, ne suffit pas. Encore faut-il y planter des graines riches et les consommer intelligemment. Nous avons profité d’une rencontre avec Yann, spécialiste de la question des graines, pour comprendre cet enjeu majeur.
Lire aussi : Notre hors-série « La vie simple, c’est pas compliqué ! » (à télécharger gratis).
Yann est membre du collectif des Gars’pilleurs, qui dénonce « les aberrations de l’agroalimentaire, en distribuant gratuitement des denrées jetées par les supermarchés, boulangeries, commerces, etc »… c’est-à-dire la moitié des aliments produits ! Nés en 2013, ces restos du cœur alternatifs n’ont jamais autant bossé qu’au début du confinement, lorsque de nombreux restaurateurs ont tout simplement balancé leurs stocks à la poubelle !
En plus de dénoncer ce gaspillage alimentaire, les Gars’pilleurs alertent aussi sur l’omniprésence, dans le commerce, d’aliments dits « biocidiques ». Des aliments qui « tuent le vivant » (via les manipulations génétiques, les pesticides, l’épuisement des sols, les additifs, le sucre…) et nous rendent malade. Ils les opposent aux aliments « biogéniques » – qui donnent la vie – comme les végétaux ou… les graines germées. Un aliment qui reste très rare dans nos assiettes. Trop rare.
Le + : pour en savoir davantage sur la distinction biocidique / biogénique, c’est par ici.
Mais notre discussion ne s’est pas limitée au sujet des graines germées : elle nous a aussi conduit à évoquer le scandale des graines hybrides et du juteux business des multinationales agricoles. Une « privatisation du vivant » que dénonce l’association Kokopelli depuis plus de 20 ans, en y opposant 1500 variétés de graines libres et reproductibles qu’elle envoie en France, mais aussi en Inde et au Pérou.
Bonne nouvelle : après une longue bataille, la vente de semences paysannes a enfin été autorisée en France le 11 juin 2020. Cependant, elles ne sont autorisées à la vente que pour les jardiniers amateurs. Les professionnels restent donc dépendants de multinationales comme Monsanto qui a accéléré la standardisation de notre alimentation. C’est donc une bonne nouvelle pour la biodiversité, mais le combat continue !
Saviez vous qu’1/3 du maïs produit en France dépendait de graines hybrides Monsanto « stériles » que l’agriculteur doit racheter chaque année aux industriels, plutôt que de replanter les graines de ce qui a déjà poussé ?
Les industriels sont clairement en train de poser un verrou biologique sur la biodiversité, afin de contrôler la production et le commerce des semences. Leur lobbying a, notamment, fait des merveilles auprès des autorités européennes : les normes communautaires considèrent désormais les graines « paysannes » comme des « substances dangereuses », obligeant les paysans à « homologuer » leurs graines (une procédure exigeant un investissement de plusieurs milliers d’euros pour chaque variété).
Il est temps que le « droit à re-semer une partie de sa récolte » devienne un droit fondamental et un combat de désobéissance civile ! Ecoutez Yann, vous allez tout comprendre.
Focus sur le frigo géant du Svalbard : mieux connu sous le nom « d’Arche de Noé de la semence » ou « grenier du monde », cette réserve mondiale creusée dans le sol norvégien pour abriter 2,5 milliards de graines serait… totalement inutile ! « Ce n’est rien qu’une morgue », disent certains spécialistes, pour qui, les graines « gardées trop longtemps dans un réfrigérateur, attrapent des maladies et perdent leur pouvoir germinatif ». En plus, le bâtiment prend l’eau, alors que le réchauffement climatique fait fondre les glaces du grand Nord. Un Arche de Noé qui prend l’eau… c’est plutôt mauvais signe…
ETC – J’ai acheté des lentilles vertes, ce matin, sur le marché. Est ce que je peux les mettre à germer dans un petit pot ?
Yann-Malheureusement, non. Car elles sont très certainement issues de graines de semences de lentilles hybrides, créées par les géants de l’agrochimie. On parle de graine « hybride F1 » (hybride parce qu’elle est issue d’un croisement de graines et F1 pour « première fécondation »). La graine est brevetée : elle appartient à une multinationale. Le truc avec ces graines « Hybrides F1 », que ce soit pour la lentille, la tomate, la courge, le piment, pour la cultiver, est qu’elles ne peuvent pas se reproduire. C’est fait exprès pour que l’agriculteur, le maraîcher ou l’amateur ne puissent pas utiliser la descendance de la graine pour replanter. C’est savamment orchestré pour vous obliger à en racheter ! Outre ce modèle économique totalement contre-nature, le gros problème avec ces graines hybrides c’est qu’elles sont le résultat de mélanges « consanguins » : à force de manipulations génétiques, on a rendu la plante stérile. Ces manipulations ont conduit à un appauvrissement nutritionnel total de la plante. Elle a « dégénéré ». En termes d’acides aminés et de minéraux, on est proche de zéro par rapport à une carotte d’il y a 100 ans ! Conséquence : on doit en manger 10 fois plus pour obtenir les mêmes apports énergétiques. Et 98% des fruits et légumes que vous allez trouver sur votre marché, même Bio, c’est de l’hybride. Et c’est la même chose pour les graines « à germer » que vous trouvez sur internet !
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Mais il doit bien exister des lieux qui produisent des graines 100 % naturelles ?
Heureusement, oui ! On a Kokopelli, la ferme de Sainte-Marthe, Semaille et Sativa en Suisse… plusieurs producteurs vendent des semences « libres et reproductibles » [pour en savoir plus sur le « réseau semences paysannes – RSP », c’est par ici.]
Revenons à la germination. Est-ce que je peux m’y mettre « au feeling », en laissant juste tremper la graine dans un pot avec de l’eau, pendant quelques heures ou jours… ou bien dois-je m’équiper d’un bouquin pour apprendre l’art de la graine germée ?
C’est vrai que faire germer n’est pas simple. Chaque graine a ses spécificités. Mais vous trouverez plein d’informations en librairie ou en ligne (de ce côté, par exemple).
Une fois germée, comment puis-je intégrer mes graines à mon alimentation quotidienne. En accompagnement ? En salade ?
Plutôt comme un condiment subtil et plein de vie, à la manière du piment ou de la moutarde, ou bien dans une salade. Mais, par exemple, la graine germée de carottes est aussi excellente sur une glace au chocolat !
« Un fruit mûr, c’est un fruit qui vient de naître et qui est, en même temps, à l’apogée de sa vie ».
Quelle est la différence nutritionnelle entre des lentilles cuites 20 minutes dans de l’eau bouillante et des lentilles germées ?
Et bien, quand on brûle une matière au-delà de 42 degrés, on fait cramer les enzymes et les vitamines. L’effet pervers du feu, c’est de tuer les nutriments. Par contre, quand on prend le temps de faire germer des graines de lentilles sur 24, 48 ou 72 heures, pour assaisonner notre salade ou en faire des jus, c’est un apport énergétique pur, dont les nutriments sont hyper-riches. En cuisant trop longtemps, on désagrège la qualité du produit. On finit par manger, grosso modo, de l’eau pleine de matière mortes…
« Quand on mange des graines germées, on a pas vraiment la sensation de satiété. On n’a pas le coup de fatigue que l’on a habituellement après un repas où on se remplit la panse. »
Donc nous devrions manger beaucoup plus de légumes crus et de graines germées !
En fait, il faut juste écouter son corps. Il ne faut pas jouer avec son intellect ni avec les dogmes. C’est bien de changer, de tester, d’être curieux, de voir comment telle ou telle nourriture répond à notre corps. Notre ventre est notre deuxième cerveau. Chacun est libre d’écouter ce qu’il nous dit. Finalement, le mieux, c’est la fameuse « voie du milieu » prônée par certaines cultures asiatiques, notamment. Une sorte d’équilibre alimentaire entre le cru, le cuit, le germé et le non-germé.