Alexandre Boisson lance un SOSMaire au monde

Portrait Alexandre Boisson
@DR

Pablo Servigne s’est entretenu avec Alexandre Boisson, co-créateur du site SOSMaires, prônant l’autonomie et la résilience des communes.

Ancien de la Police Nationale et de la brigade anticriminalité, Alexandre Boisson a été pendant neuf ans dans le groupe de sécurité du président de la République (GSPR), sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.

En 2011, en désaccord avec le déclenchement de la guerre en Lybie, il quitte l’Élysée et la Police Nationale pour contribuer à de nouveaux modèles de sécurité et de résilience face aux risques à venir. En 2018, il crée SosMaires.org afin de soutenir les initiatives au niveau communal.

PABLO SERVIGNE
Alexandre, tu te démènes pour que la France se prépare au niveau communal à ce qu’on pourrait appeler un effondrement. Dans ce pays, il faut reconnaître qu’on a de bons services publics. Que l’on craigne qu’ils disparaissent ou pas, ton idée est de les utiliser pour organiser un semblant d’ordre, de transition ou d’État d’urgence, c’est ça ?

ALEXANDRE BOISSON
Oui, on ne peut pas se passer d’un système. Notre France est basée sur les croyances des populations envers un système. L’effondrement des croyances, c’est ce qu’il y a de pire. Quand il y a la panique, c’est là qu’il y a du danger.

L’idée forte défendue par SOS Maires, c’est qu’en cas de catastrophe systémique, il faut arriver à maintenir une structure que les gens connaissent, pour ne pas les plonger dans l’inconnu.

PS • Mais pourquoi l’échelle communale ?

AB • Parce qu’on a la chance d’avoir plus de la moitié des communes françaises qui font 500 habitants. Et, à 500 habitants, tu fais vraiment de la politique, dans le sens du bien de la cité. Au-delà, ça commence à être dépendant de décisions qui viennent de plus haut, du préfet, par exemple.

À cette échelle communale, les gens sont beaucoup plus outillés qu’à plus grande échelle, parce que les gens se connaissent, on sait qui a les ressources. Les moyens de refaire système sont beaucoup plus faciles à identifier. Les gens se portent donc plus volontaires pour aider, c’est important pour la sécurité.

PS • Les individus ont plus de leviers à cette échelle ?

AB • Oui, la pyramide est moins haute, on est plus proche de la base. C’est géométrique. Plus la pyramide est plate, mieux ça marche. La coordination se fait mieux. Et la sécurité, c’est de la coordination. Si aujourd’hui nous envoyons un maximum d’administrés consulter les DICRIM [les documents d’information communale sur les risques majeurs] ou les autres plans communaux de sauvegarde, c’est simplement parce que ça conscientise.

Si les gens sont conscientisés dès maintenant, s’ils sont prévenus, ils peuvent aller voir leur maire avec l’idée qu’on n’est pas raccord avec la résilience alimentaire, et ils conscientisent leur maire. La sécurité naît de cela. L’effondrement des croyances, c’est juste parce qu’on s’attendait à ce que ça continue. La population risque d’attendre, sans agir, qu’un messie arrive des urnes ou du ciel…

L’échelle communale est très puissante, car elle permet à tout le monde de s’impliquer et de s’organiser très vite. Sans compter qu’on peut exiger pas mal de choses à notre mairie…

PS • Donc les gens s’auto-organisent et le niveau de sécurité augmente…

AB • Et j’ajouterais que ça va un peu au-delà de ça, parce que la question de la sécurité des populations locales s’étend aussi aux personnes qu’on peut accueillir. Parce que c’est bien joli d’avoir une petite commune bien organisée, mais si, autour, c’est le bordel, on retombe sur un phénomène d’insécurité.

Ces communes françaises de 500 habitants sont capables de surproduire au niveau alimentaire, et donc d’amortir le choc pour les autres communes qui, elles, ne seront pas prêtes. L’effet est alors holistique : comme les gens se conscientisent sur leur protection, comme ils peuvent aider et agir, alors ils se valorisent, et ça crée une spirale positive.

On recrée du lien social, on favorise le local, ce qui, au passage, n’est pas négligeable non plus pour le climat… Avec cette stratégie, on n’est pas dissident, on reste dans le cadre de la loi.

PS • Donc il ne faudrait pas louper l’échéance des municipales en mars 2020.

AB • Oui, c’est rapide, mais tu sais… je pense qu’il peut se passer beaucoup de grosses choses d’ici là ! Il faut se conscientiser dès maintenant, avant les élections. Il faut que les administrés posent des questions fondamentales à leur pouvoir communal.

Au début, les personnes qui interpellent les maires passent pour des fous. C’est normal, parce qu’elles font la leçon au maire… Elles se font renvoyer, mais au fond elles ont été entendues, et quelque temps plus tard, le maire revient : « Ah oui, vous avez raison, tenez, ici il y a des terrains si vous voulez… ».

PS • Tu as connu des maires qui ne veulent pas donner de terrains, qui n’emboîtent pas le pas ?

AB • 95% des maires donnent des terrains pour cultiver. Et l’autre chose, c’est qu’on explique aux administrés qui tombent sur des maires un peu sourds que la question se traitera alors chez le procureur de la République…

En fait, quand vous allez « embêter » votre maire pour vérifier que des mesures ont été prises, vous êtes dans le cadre de la loi. Tout le monde est censé connaître les mesures que sa commune prend en cas de catastrophes.

En s’informant, on vérifie donc les manquements au devoir de sécurité. On peut donc le signaler et apporter son soutien. Rien qu’en respectant la loi (qui est quand même une super structure, quand elle est bien appliquée), on est en train de faire remonter le fait qu’ils n’ont rien prévu. C’est une faute grave ! Une mise en danger de la vie d’autrui.

PS • Donc, si le maire est réticent, on peut l’obliger à agir ?

AB • On peut lui dire que s’il y a rupture d’approvisionnement en nourriture, on peut facilement se retrouver en situation de famine, donc « nous vous informons qu’au regard de l’état de nécessité (art. 122.7 du code pénal), nous allons occuper un terrain pour y mettre de la résilience alimentaire ».

Et la lettre au procureur doit être affichée publiquement. En fait, on oblige les maires à créer des ZAD partout! [rires] Tu sais, j’ai une sorte d’affection pour les gens qui cherchent des alternatives…

En cas de catastrophe systémique, il faut arriver à maintenir une structure que les gens connaissent.

PS • L’échelle communale est aussi la stratégie choisie par les initiatives de transition, celles de Rob Hopkins. Tout cela va à l’encontre de ce jacobinisme hyper centralisé typiquement français. Toi, tu viens du sommet de la pyramide. Est-ce que c’est lié ? C’est parce que tu as été au sommet que tu te concentres sur la base ?

AB • Oui. J’ai vu qu’on ne pouvait pas tout attendre de là-haut, parce qu’on les laisse en proie à tous les lobbies. Ce sont les conseillers qui décident tout, et on connaît à peine leurs noms…

Il y a trois types de personnes tout en haut. Le premier est honnête et compétent, et il ne reste pas longtemps, il est placardisé ou rabaissé. Le deuxième est corrompu. Et le troisième n’est pas malhonnête, mais il est tenu par des dossiers. En gros, notre moteur démocratique tient sur trois cylindres et il tourne avec deux. C’est l’incompétence qui nous dirige. C’est pour ça que tout nécrose, il n’y a pas de contrôle.

Au sommet, j’ai compris que c’était impossible, on va vers toujours plus d’inepties. Ce sont des gens qui, de plus en plus, pensent à leur gueule ou ne peuvent tout simplement plus manœuvrer géopolitiquement. Pour certains, ils ont évincé cœur et conscience et ils ne prennent que ce qui rapporte. Quand on a un peu d’empathie, comme toi j’imagine, on a du mal à imaginer que des gens n’en aient pas, mais c’est le cas!

Ce n’est pas la peine d’aller voir Macron pour lui demander des trucs, il est prisonnier de l’oligarchie. Et on va droit dans le mur, car ces grandes structures ne sont pas adaptées ni adaptables à nos urgences humaines. Mais ça n’empêche pas que des alertes nous sont parfois lancées.

Par exemple, le Premier Ministre, Édouard Philippe, qui te balance que tout va s’effondrer, là, il faut choper le message au vol. C’est un signal. Tu sais, à ce degré de responsabilité de l’État, tu choisis tous les mots bien précisément, tes conseillers le font…. Mais je pense qu’ils sont coincés. Imagine que l’État, c’est une énorme péniche qui ne peut pas faire demi-tour, elle met déjà longtemps à freiner et elle doit attendre d’avoir assez de place pour faire la manœuvre.

PS • Édouard Philippe nous a fait un clin d’œil ?

AB • Oui. Il ne peut faire que ça. Parce que si, en France, on fait les bons élèves de l’écologie, si on s’affaiblit trop économiquement (et on est dans des vraies guerres économiques mondiales entre puissances !), on va se faire détruire par la compétition économique internationale.

Les grands pays ne lorgnent qu’une chose : récupérer les contrats des Français à l’étranger. S’ils voient que la tête de l’État français est faible, certains producteurs d’énergie étrangers traiteront avec d’autres pays, par souci de stabilité du business. Et aujourd’hui, en France, on n’est pas du tout prêt à se passer d’énergie ! Même un peu de contraction sur l’importation d’énergie, et c’est le désordre systémique.

Le seul moyen d’agir, c’est la commune. Ce sont des gens qui se prennent en main, qui font leur énergie et qui construisent leur résilience alimentaire. Si on le fait, d’autres vont commencer à le faire, partout dans le monde, comme avec les Gilets Jaunes. C’est pour ça que je dis que renforcer les communes, c’est internationaliser la chose. On renforce le local, tout en ayant un impact sur les autres pays : ça peut les inspirer et ça n’affaiblit pas structurellement la France, ça laisse donc un peu de marge.

Cette stratégie de la sécurité alimentaire, non seulement ça ne nous affaiblit pas au niveau international, mais ça vient même contrecarrer les inepties du CETA et ces accords de libre-échange qui sont des aberrations écologiques. Et tu ne peux pas te faire gazer ou éborgner quand tu vas dans ta mairie pour demander à ce qu’au regard de la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 le maire prenne des dispositions !

PS • Tu trouves que les Gilets Jaunes pourraient s’engouffrer dans cette brèche ?

AB • Je ne voulais pas m’associer aux Gilets Jaunes au début, mais il faut reconnaître que là, ce mouvement est devenu très intéressant. Leur capacité à apprendre des nouvelles choses, c’est fou. Beaucoup sont devenus très vite collapsologues.

Ils ont adhéré à cette question de la résilience alimentaire et ils sont allés demander des terrains. Comme il leur manque pour l’instant un message politique clair, la question de la sécurité de la population peut les aider à faire avancer les choses. Il n’y a pas de manifs sur ce thème, mais ça commence à circuler.

PS • Ta proposition est donc d’aller vers plus d’autonomie des territoires. Un peu comme le système suisse, plus distribué. Pour eux, la question de la sécurité physique passe par les formations de la population, ils sont conscientisés, ils ont une armée de milice appuyée par des militaires professionnels. Le modèle suisse est-il plus performant ?

AB • Oui, c’est un meilleur modèle de résilience, les Suisses sont davantage conscients des risques majeurs pour leur société et sont plus préparés. Mais étrangement, même si les Français sont compliqués, ils arrivent à inspirer le monde, alors que la Suisse, pas autant.

Je vais souvent à Bakou, en Azerbaïdjan, et je vois à quel point les Français inspirent à l’autre bout du monde – je pense qu’on a une carte à jouer. Les Suisses ont un bon modèle, mais ils sont plus sages. Nous, on est des turbulents, on n’a pas le même état d’esprit, souvent on se réveille d’un coup et on surprend tout le monde!

PS • C’est marrant, Stéphane Linou dit la même chose… D’ailleurs, dans son livre, un haut gradé parle des « zones d’insécurité » en cas de catastrophes. C’est-à-dire que l’État sait déjà qu’il renoncera à certaines zones, car il n’y a pas assez de fonctionnaires pour s’en occuper. Tu connais ces zones d’insécurité ?

AB • Je suis entré dans la Police Nationale par vocation, d’abord au contact des habitants des quartiers sensibles en tant qu’îlotier de la police de proximité, et j’ai découvert le rôle de constructeur de cohésion sociétale. Ensuite, après quelques années, j’ai intégré la brigade anticriminalité de nuit, la BAC. J’ai été directement témoin d’une réalité peu connue pour Monsieur et Madame Toulemonde, où la violence et la mort sont quotidiennes.

Aujourd’hui, notre société repose sur des fondamentaux économiques et énergétiques stables, et pourtant l’ultraviolence existe bel et bien, parallèlement à la vie tranquille du quidam moyen, qui vit dans un déni de réalité. Le rôle de la police, à ce jour, c’est celui de colmater les brèches qui empêchent cette ultraviolence d’envahir la normalité sociale.

Oui, il existe des zones où la sociologie repose sur le trafic d’humains et de choses illégales. Mais le problème, c’est qu’il y a beaucoup de gangs dans ces zones, et ils sont nombreux, armés et structurés, bien plus que les survivalistes! Et avec le chaos d’un effondrement brutal, c’est l’indifférence au sort des autres qui risque de l’emporter. Quand un pays est structuré, c’est l’intelligence qui contient la barbarie. Quand un pays est déstructuré, c’est la barbarie qui prend le pas sur l’intelligence. Tu as beau avoir bac-plus-chai-pas-combien, face à une kalachnikov, tu vas perdre.

Donc, oui, il y a ces cartes de 800 zones qui craignent, équitablement réparties sur le territoire, et qui en cas d’effondrement grave pourraient arriver à contrôler des êtres humains. C’est logique : quand nos esclaves énergétiques disparaissent, ceux qui ont des armes refont les esclaves humains, comme en Lybie.

Donc les Bisounours sont mis en danger par cette sociologie-là. Ce que je veux éviter, c’est qu’ils soient mis en danger. J’aimerais sincèrement que ce soit plutôt la vision Bisounours qui gagne, et la mienne qui perde. Pour moi, maintenant, l’important, c’est de désamorcer les paniques. L’entraide se négocie aujourd’hui, et il faut faire comprendre aux gangs que même s’ils gagnent un peu au début, ils vont avoir une vie merdique ensuite.

L’important, c’est de désamorcer les paniques. L’entraide se négocie aujourd’hui.

PS • Il faut faire du lien dès maintenant avec eux. Et le chanvre, c’est une manière de faire du lien ?

AB • Oui, c’est l’une des propositions de mon livre. Je sais, ça peut paraître étrange! Mais il faut biaiser les biais cognitifs. Si on prend le code pénal, ces gangs sont aujourd’hui du mauvais côté. Mais si tu les instruis sur tous les autres aspects du chanvre, celui qui ne produit pas de drogue (sans THC) et que tu les impliques dans les applications de ce chanvre légal (pour le textile, pour la construction, pour le médical, etc.), ils peuvent devenir chefs d’entreprise, ils passent du bon côté de la loi. Ils deviennent importants, ils participent à créer de la résilience alimentaire et médicale.

Dans la tête d’un gamin, ça change tout d’être valorisé et de se sentir utile. J’aime beaucoup les chansons de Kerry James, qui expliquent parfaitement l’état des banlieues et de ce communautarisme plus économique qu’autre chose. Ils ne peuvent jamais faire société. L’idée que je porte, c’est qu’il faut décloisonner, et non pas attaquer les trafics de face. Inventer une nouvelle voie.

PS • Certains activistes, en particulier à l’extrême gauche, te considèrent comme un affreux personnage d’extrême droite. Et tes anciens collègues, ils te considèrent comme Bisounours ?

AB • [rires] Non, ils trouvent ça illusoire.

PS • Il faut avouer que tu fais un peu loup solitaire. Tu es un complotiste, un infiltré ?

AB • [rires] Je suis un cas particulier, je ne colle à aucune image. Ma ligne, c’est de respecter la loi et de protéger un maximum d’humains. Ca, on ne peut pas me le reprocher. À mes anciens collègues qui m’accusent d’être du côté des Gilets Jaunes, je dis que la mutilation est interdite par la loi! ça créé un malaise [rires].

Oui, je suis emmerdant pour tout le monde. Même à gauche, parce que je suis ancien flic. Mais je n’ai aucun intérêt personnel, je n’ai pas besoin d’argent, ni d’être reconnu, donc personne n’a de prise sur moi.

Je sais juste comment fonctionne une foule en panique, c’est un troupeau qui écrase les plus faibles. Et j’ai cinq enfants, au milieu de tout ça. J’essaie de faire de mon mieux pour que les foules paniquent le moins possible, et je repartirai dans mon anonymat ensuite.

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