Créateur de l’Archipel du Vivant, Jean-Christophe Anna nous livre, dans un entretien, les raisons pour lesquelles il s’est tourné vers un habitat réversible, sans emprise au sol.
Comment as-tu été inspiré pour vivre dans une tiny house et comment as-tu choisi ce mode de vie écologique ?
J’ai pris conscience de l’effondrement de notre civilisation fin 2017 en découvrant les vidéos de la série NEXT de Clément Montfort puis en lisant Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens. J’ai alors compris que les pièces que j’avais déjà en ma possession, mais que j’appréhendais séparément les unes des autres, formaient un puzzle.
En avril 2019, 6 mois après avoir initié un mouvement citoyen à Strasbourg pour éveiller les consciences sur cet effondrement et les risques systémiques associés et alors que je lançais le site web Effondrement & Renaissance, j’ai réalisé à quel point végétaliser l’espace minéral d’une métropole relevait de la gageure. Développer le Vivant au cœur même du monstre, de la méga-machine d’annihilation de la vie, m’apparaissait soudainement totalement vain, pour ne pas dire complètement stupide, artificiel.
« La non-résilience de l’urbain m’a alors frappé de plein fouet« .
J’avais déjà opéré une bascule radicale en étant devenu en quelques mois à peine vegan et antispéciste, locavore et minimaliste. Pur produit de la ville – je suis né à Strasbourg où j’ai vécu une bonne partie de ma vie à l’exception des 7 années passées à Paris – je disais souvent : j’ai besoin qu’il y ait de la vie en bas de chez moi. Ce que j’entendais par « vie », c’étaient les commerces et donc… la consommation. Pour la première fois, j’éprouvais un vrai malaise, un violent déracinement. Entouré de béton et de bitume, il me manquait l’essentiel, le contact avec
la Terre, avec la grande toile du Vivant. C’est alors qu’est arrivé comme une évidence, la nécessité pour moi de m’extraire de l’urbain pour habiter autrement la Terre, pour la réhabiter comme le disaient si bien les biorégionalistes Peter Berg et Judy Goldhaft. C’est ainsi qu’est né
le projet d’un habitat réversible, sans emprise au sol pour respecter le Vivant et surtout mobile par temps d’effondrement, tant qu’il y a du pétrole bien sûr ! Le conseil de l’expert en mobilité Laurent Castaignède à la fin de son passage sur Thinkerview m’avait interpellé : « il va nous falloir réapprendre à bouger pour vivre et non plus vivre pour bouger ! »
Comment as-tu construit ta tiny ?
J’ai imaginé ma Tiny avec un ami architecte en 2018-2019. J’aurai réellement adoré l’auto-construire, ce qui est forcément une formidable expérience de vie et s’avère au passage être un choix judicieux au niveau financier. Mais je n’avais pas le temps disponible et pour tout
dire, je ne me sentais pas capable d’assurer correctement certains partis pris techniques, notamment au niveau des menuiseries. Nous avons confié sa réalisation à un charpentier alsacien spécialisé en ossature bois. C’était sa toute première tiny. Tous les matériaux sont recyclés et/ou recyclables. La charpente est en bois avec le plancher en sapin, les murs et le plafond en peuplier. L’isolant est du métis, le matériau de récupération proposé par Emmaüs à partir de chutes de jeans et de vêtements. Le bardage extérieur est en aluminium pour deux
raisons : cela limite l’entretien et cela permet à ma Tiny de rester sous les 3,5 tonnes pour être tractée par un véhicule avec un permis BE. Elle est très grande, puisqu’elle fait 2,55 m de large, 4,20 m de haut et 8,5 m de long pour 18 m2 au sol (23 m2 avec la mezzanine).
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Quels conseils donnerais-tu à ceux qui envisagent de passer à une vie dans une tiny house ?
Je les inviterai tout d’abord, assez naturellement, à passer quelques nuits dans une Tiny, voire même plusieurs, pour se faire une idée. Mais le meilleur conseil selon moi est celui d’adopter cette approche aussi singulière que radicale :
« habiter une Tiny entièrement vide et l’équiper au fur et à mesure. »
C’est mon ami architecte qui m’a proposé de déconstruire tous mes repères et d’éprouver mon nouvel habitat vide pour savoir de quoi j’allais réellement avoir besoin et où j’allais installer tel ou tel meuble. Lorsque ma Tiny est arrivée dans l’écovillage du Périgord-Vert où j’ai vécu plusieurs mois en 2021, c’était une coquille vide. J’ai posé un matelas sur la mezzanine et une échelle pour y monter, punta basta. Alors que l’hiver était froid et pluvieux, j’y ai dormi pendant plusieurs semaines sans aucun meuble, avec juste une valise. Puis, petit à petit, j’ai posé une planche de bois sur deux trétaux pour disposer d’une table, fabriqué une penderie, installé des rideaux… Au début, je pensais me passer de toilettes. Mais comme je bois beaucoup de tisane et que le temps hivernal était très humide pendant les 2 premiers mois, je me suis finalement résolu à fabriquer des toilettes sèches pour ne plus avoir à sortir pisser en pleine nuit. Si j’apprécie le petit cocon douillet qu’elle est devenue, je garde un excellent souvenir de cette expérience unique. Et je suis persuadé que c’est la meilleure option !
Au début de ma réflexion, j’ai visionné quantité de vidéos et vu énormément de photos de tinys. J’étais souvent surpris de voir la cuisine occuper 2/3 de la surface au sol, plusieurs tables – avec un coin bureau, un plan de travail, une table pour manger – ou une bien trop grande salle de bain. Chercher à retrouver exactement le même confort que celui d’un appartement ou d’une maison classique sur une
surface hyper réduite est une erreur selon moi. Je pense qu’habiter une Tiny, comme une yourte, une cabane ou une roulotte, c’est aussi un état d’esprit, une philosophie, celle du dépouillement et de la frugalité – vivre léger en adoptant le minimalisme – le chemin le plus sûr
vers le vrai bonheur. J’aime beaucoup cette citation de Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. »
Comment as-tu personnalisé ta tiny house pour refléter ta propre philosophie écologique et quels éléments uniques as-tu intégré pour maximiser l’efficacité énergétique et la durabilité de ton espace de vie ?
Ma Tiny est un peu un ovni. D’ailleurs ce n’est pas vraiment une Tiny, c’est une Collapse home ! C’est comme cela que nous l’avons conçue et baptisée. Avec son bardage alu anthracite, son décaissement sur le toit, à l’avant, pour accueillir une citerne à eau et ses larges parois de verre, elle a un look unique. Cette grande surface vitrée la rend hyper lumineuse et lui permet de chauffer naturellement très vite dès qu’il y a un peu de soleil, même l’hiver. Et pour éviter la fournaise l’été, il suffit de créer un courant d’air en jouant avec deux des sept portes fenêtres ou l’une d’elle et le velux de la mezzanine. Nous l’avons souhaitée volontairement très dépouillée, sans eau, ni électricité. Il s’agit d’une cellule de vie qui a vocation à s’installer au sein d’un lieu collectif avec des communs. Je suis séduit par l’idée de désolidariser la propriété de l’habitat – nécessairement réversible comme celui de tout autre animal et comme celui de nos ancêtres ou des peuples premiers – de la propriété du terrain sur lequel il est posé.
« La Terre n’appartient à personne, elle appartient à tous ses habitants, humains et non humains. »
Nous n’avons pas le droit de nous approprier une grande partie du sol terrestre comme nous l’avons fait, nous avons le devoir de nous mettre au service du Vivant auquel nous appartenons. Il est grand temps de ré-intégrer la communauté biotique en y retrouvant notre juste place, en aucun cas supérieure aux autres vivants qui peuplent notre planète. Il nous appartient d’habiter autrement la Terre, tant sur le plan de
l’habitat que de l’habiter. C’est central dans l’utopie biorégionale que nous portons et qui nous porte au sein de notre ONG, L’Archipel du Vivant.
Du côté de l’équipement, en cas de grand froid, j’ai un poêle à bois de la marque anglaise Aneway (modèle The Traveller Stove qui permet de chauffer de l’eau ou une casserole) spécialisé dans les yourtes et les tinys. Avec quelques mini buches, en 45 minutes, la température monte d’une dizaine de degrés. À l’exception de ce petit poêle, tout est mobile : mon matelas posé sur la mezzanine, un canapé lit en bas, la table basse (une boite de rangement en métal), 3 chaises, une grande planche en bois qui me sert à la fois de bureau, de plan de travail et de coin repas. Le plus grand objet à l’intérieur est une magnifique baignoire en zinc du XIXe siècle que j’ai chinée et qui me permet de prendre une douche avec une poche d’eau suspendue. J’ai fabriqué une penderie et des toilettes sèches. Un vieille malle militaire également récupérée dans une brocante sert de stockage pour les mini-buches, un jerrican posé dessus et un seau me permettent de me nettoyer les mains, de me brosser les dents et de faire ma vaisselle. J’ai également un filtre Berkey, une plaque électrique, une bouilloire, trois petites lampes rechargeables et une enceinte en bambou. S’il n’y a donc aucune prise électrique à l’intérieur, il suffit d’une rallonge multi-prises pour brancher mes quelques appareils. De grands rideaux en lin m’offrent un peu d’intimité la nuit. La literie (matelas, couettes et oreillers) est en coton 100 % bio, de fabrication française (la SCOP Futaine en Ariège).
Enfin, plusieurs œuvres d’artistes décorent les murs : un magnifique taureau (mon signe astrologique) dessiné par mon amie Isabelle N, la photo d’un masque végétal réalisée par mon pote Hugo Mairelle (le Projet Être(s)), deux reproductions d’œuvres du street artist Banksy et surtout quelques dessins de mes artistes préférés, mes deux fils ! Cette Tiny est pour moi le paradis sur Terre, j’y dors comme un bébé avec une vue directe sur les étoiles (à travers le velux) et j’y suis en connexion avec les éléments, le soleil, la pluie, le vent. Elle est vivante !