À l’occasion du 169ème café nantais des amis de l’Huma, la sociologue Monique Pinçon-Charlot nous livre une fine analyse des rouages à l’œuvre dans les hautes sphères de la société française.
Manifestement connus pour leur travail sur les classes dominantes depuis les années 80, le duo Pinçon-Charlot, représenté depuis la mort de Michel en 2022 par Monique, revient sur le devant de la scène avec Entre-soi: Le séparatisme des riches, une publication sociologiquement illustré par les soins du photojournaliste Gwenn Dubourthoumieu. D’emblée, on notera que l’ouvrage à 4 mains n’est l’affaire que d’une seule et même volonté : rendre visible ce qui constitue l’arbitraire absolu de la domination de classe. Car nous serions loin d’imaginer ce qui se trame, là-haut, dans les hautes sphères. Comme le sociologue Pierre Bourdieu le disait si bien, « ils sont mobilisés en permanence pour masquer l’arbitraire de leurs privilèges », faute de quoi il nous manquerait les bonnes lunettes, à nous, gens du bas peuple, pour voir les bonnes informations.
« Mettre du sang et de la chair sur le squelette de la domination »
Malgré les réticences du CNRS face à leur investigation sociologique sur les puissants, le couple Pinçon-Charlot a ressenti « comme une rage au ventre », un besoin de « contester l’ordre des classes ». Leurs recherches – d’abord orientées sur la transmission des patrimoines, sur la chasse à courre et sur les châteaux classés Monument Historique – vont intégrer, après leur retraite en 2007, les champs politique et économique. À partir de là, leurs publications régulières éclaireront avec plus de détails les mécanismes de l’exploitation et de la domination à l’œuvre dans la classe dominante.
Ce soir-là, au café de l’Huma, entre deux incursions comiques, Monique décrit le fonctionnement de cette classe au sommet des richesses et des pouvoirs : « C’est une orchestration sans chef d’orchestre. Il n’y a pas de chef, contrairement à nous. Chaque membre de cette classe en défend les intérêts, car l’essentiel, c’est qu’ils soient les meilleurs dans les champs économiques, politiques ou idéologiques dans lesquels ils s’investissent tout particulièrement. » Avec transparence, la sociologue reconnaît qu’elle doit tout à Bourdieu et cite la typologie des ressources dont usent les dominants pour asseoir leur richesse : « Bien sûr, il faut avoir le capital économique. À cela, s’ajoute le capital culturel avec le monde des collectionneurs d’art et des propriétaires de ventes aux enchères, le capital social en étant intégré dans le ghetto du Gotha et le capital symbolique à travers des pratiques comme la chasse à courre, la façon de parler ou des instances comme les rallyes.»
Les riches feraient-ils sécession ?
La classe dominante a toujours été séparée des autres classes. Dans l’espace urbain, rural, balnéaire et de montagne, il n’est pas nouveau que les riches s’octroient les plus beaux espaces. De manière séculaire, « richesses et pouvoirs sont accaparés par ces oligarques qui vivent à l’écart des autres, entre eux, dans un véritable communautarisme de naissance » précise la sociologue pour qui les beaux quartiers ne sont que des « zones de profits et de dividendes ». Et dans un système de dynasties familiales, les privilèges sont bien gardés : « Si vous naissez à Neuilly-sur-Seine, vous bénéficiez d’emblée des titres de propriété de vos ancêtres. Vous n’en êtes que les usufruitiers car vous devez restituer à la génération suivante ce qui vous a été donné à votre naissance, si possible en ayant amélioré les choses. Cela peut durer très longtemps ». En d’autres termes, ce système empêche toute forme de ruissellement vers les classes moyennes et populaires.
Une violence inouïe pour notre humanité
Si ce séparatisme des riches perdure, c’est qu’il puise sa force dans l’exploitation de toutes les formes du vivant. Travailleurs, animaux comme nature entretiennent « ces géants au pied d’argile », dont le fondement est basé sur la prédation capitaliste. Et au moment où « nous avons un rendez-vous historique avec l’avenir de l’habitabilité de la planète », Monique Pinçon Charlot affirme que nous ne sommes pas face à un anthropocène, mais bien face à un capitalocène, d’où l’importance de replacer les capitalistes comme les vrais responsables du chaos climatique.
Mais gare à nous, insiste la sociologue, qui témoigne depuis des décennies de la puissance d’anticipation incroyable des dominants : « Ils sont toujours mobilisés pour tuer la critique sociale dans l’œuf ».