Sophie Coignard et Michel Floquet ont quitté Paris pour vivre à la campagne il y a 10 ans. Ce sont des pionniers de l’exode rural. Leur livre aurait pu devenir la bible du néo-rural. Mais, engoncé dans un complexe de supériorité, ce couple ne donne vraiment pas envie de les suivre dans l’aventure. Critique.
C’est une histoire devenue banale. Un couple parisien huppé attend son premier enfant, s’ennuie dans les embouteillages et rêve de campagne. 10 ans de fantasmes plus tard, les voici dans le Perche. Pour le prix d’un T2, ils s’offrent une maison de 100 m² entourée d’un grand jardin, d’un potager et d’un poulailler.
Un tour d’essai
Nous sommes début 2000. Dans leur milieu de journalistes « mainstream » (Le Point, TF1), vivre à la campagne est ridicule. La campagne, c’est pour le week-end et quelques jours de vacance.
Alors, ils sautent le pas à moitié : ils partent pour faire un essai d’un an, en gardant leur job à Paris, faisant l’aller-retour quotidiennement. Ils deviennent alors esclaves des transports.
Mais très vite, leurs amis découvrent le pot-aux-roses. Ils leur reprochent d’envoyer leurs enfants dans des écoles rurales où ils sont condamnés à l’échec. « Hors des écoles parisiennes côté, point de salut ! ». Un préjugé encore vivace !
Problèmes immobiliers
Une bonne partie du livre est consacrée aux problèmes immobiliers du couple. En bon gogos parisiens, ils se font à moitié plumer par l’agent immobilier, le jardinier, les artisans. Un jeune couple arrivé de la ville, c’est le pigeon idéal. Dommage qu’il ne leur soit jamais venu à l’esprit de faire par eux-même, de demander de l’aide à une communauté d’écolos, à l’association des Maisons Paysannes de France. Eux ne jurent que par l’architecte des bâtiments de France.
Leur expérience révèle tout de même aux bobos un peu trop crédules qu’avec les maisons anciennes, il faut se méfier du coup de foudre et prendre le temps de se renseigner. Mais bon, ça, n’importe quelle personne sensée vous l’aurais dit !
On apprend aussi qu’il est très difficile de trouver des artisans sérieux qui peuvent intervenir rapidement. Il existe tout un écosystème d’artisans médiocres qui prospère sur le dos des jeunes propriétaires de maisons anciennes.
On découvre qu’ils ont presque détourné des aides agricoles européennes pour restaurer leur maison !
Condescendance cringe
La condescendance suppure à toutes les pages. Pour ces gens, la campagne = un abonnement au tennis à 100 euros par an seulement.
Une vision tellement bourgeoise de la campagne, où « l’homme à tout faire » (quelle expression méprisante et paternaliste) est plus important que vos beaux-parents.
Leur vision de l’entraide est très consumériste : toutes leurs relations sociales commencent par un devis et se termine le chéquier à la main.
L’autre, l’artisan, le voisin, l’élu, est présenté comme un ennemi, un profiteur ou un malin. L’habitant du perche est intolérant, misogyne et susceptible. Il roule en SUV allemand. D’ailleurs, pour faire plus couleur locale, il vous recommandent de laisser votre grosse cylindrée au garage, et de ne vous déplacez sur les routes de campagne de fruits dans une vieille Citroën saxo hors d’âge.
Les chasseurs sont tous des mordus de la gâchette. Les commerçants sont tous des opportunistes.
Avec les parents d’élèves de leur école, ils déploient des stratégies quasi-militaires : inscrire ses enfants à l’école du village « c’est un cheval de Troie efficace pour se faire naturaliser local ». Mais attention, vous n’avez pas droit à l’erreur !
Dans leur vie, tout n’est que bataille : un chapitre sur deux raconte l’histoire d’une dispute. Conflit avec un voisin, un agriculteur, une administration.
Quant à leurs amis venus faire un stage en permaculture (probablement au Bec Hellouin, dans l’Eure, à une heure de là), ils parlent de la ferme comme d’un enfer où les toilettes sèches sont « tout juste supportables » et où on enseigne un « catéchisme bobo », dont Pierre Rabhi est le prophète, et la croix : la grelinette.
Enfin, quand ils s’impliquent dans la vie locale, c’est pour lutter contre les éoliennes « qui font l’unanimité contre elles ». « L’éolienne, écrivent-ils, c’est la mort subite de la vue. »
Un peu de positif
On trouve tout de même quelques bonnes phrases comme :
- « Le rêve bucolique ne se conçoit hélas pas sans voiture ».
- « À la campagne, le jour on s’ennuie, la nuit on a peur. »
On découvre aussi l’expression « les accourus » qui désigne les urbains qui ont débarqué après le confinement.
On peut aussi saluer le portrait d’une ruralité « paradis fragile », menacée par les ambitions dévorantes de promoteurs, contre lesquelles il faut se battre.
Bref, n’achetez pas ce livre, ils ne vous apprendra rien que votre tonton patriote ne vous rabâche déjà lors des dîners de famille.