« Nous ne sommes pas en face d’un problème : nous sommes le problème »

Nous ne sommes pas en face d’un problème : nous sommes le problème lui-même
@DR

Selon Jean Bousquet, auteur de l’ouvrage Vers une conscience vivante, paru récemment aux éditions Accarias-originel, nous sommes le problème et « la destitution de l’ego est la condition sine qua non de la résolution de la crise multiforme actuelle« .

Je tourne un robinet et une eau froide ou chaude, parfaitement potable, coule en abondance. J’appuie sur un interrupteur à la fin du jour et une lumière s’allume instantanément, éclairant toutes mes activités aussi tard dans la nuit que nécessaire.

L’automne et l’hiver approchent ? Une douce chaleur s’échappe des radiateurs sans que j’aie eu à faire le moindre geste pour cela. Je me déplace en voiture, utilise quantité d’appareils électriques censés me faciliter l’existence, communique en temps réel avec le monde entier, etc.

Tout cela procède d’un luxe ahurissant, inimaginable il y a seulement un siècle – un clin d’œil par rapport à l’histoire de l’homo sapiens.

Mais tous mes avantages matériels ont un prix : la réduction en esclavage des trois quarts de l’humanité, condamnés à un labeur épuisant, dégradant et sous-payé, à la pauvreté, à la faim, aux épidémies de toutes sortes, à l’exode, à l’instabilité et à la violence sociales ; la dévastation des forêts, le dérèglement général du climat, la mort des océans, la stérilité croissante des sols, etc. Tout cela était également inimaginable il y a seulement un siècle.

Je vis dans cette civilisation occidentale, j’y appartiens physiquement et culturellement, je bénéficie de ses avantages, je pâtis de ses inconvénients. C’est « ma » civilisation. Je suis un avec elle, pour le meilleur et pour le pire. Je partage donc totalement, solidairement, la responsabilité de son impact sur la planète et sur l’humanité.

C’est notre besoin de sécurité lui-même qui nous a jetés dans un tel danger planétaire.

Lire aussi : Azul Valérie Thomé, « en plongeant dans la peine, on se reconnecte à un élan vital ».

La prédominance du confort sur l’éthique, de la jouissance immédiate sur la spiritualité, a creusé notre tombe collective. Nous sommes tombés dans un piège fabriqué par nous-mêmes.

Les valeurs qui sous-tendent notre civilisation (croissance infinie, individualisme, compétition, domination sur la nature), peuvent être résumées en un seul mot : l’ego.

L’ego avide de croissance sur tous les plans, quelles qu’en soient les conséquences pour son entourage et pour la planète. L’ego volontairement aveugle à sa propre finitude, à sa mortalité, obsédé par son intérêt immédiat, éventuellement aux dépens de tout et de tous. L’ego-centrisme – cette maladie de la conscience, cette drogue hallucinogène qui rend l’être humain capable de croire qu’il est au centre de tout – bien que non vu, non reconnu, domine universellement.

Paradoxalement, cette « civilisation de l’ego » accroît considérablement la souffrance globale du monde et de l’humanité, y compris en son sein ; elle révèle chaque jour un peu plus ses failles et ses contradictions, et répand la mort sur tout ce qu’elle accapare.

L’ego est prédateur par nature

Sa soif de pouvoir, de richesse, de reconnaissance, de plaisir est inextinguible. Il dévore pour croître ; c’est inscrit dans son ADN.

La crise que nous traversons n’est pas due à une organisation politique défaillante, à la corruption des élus, à l’agressivité conquérante des grands groupes industriels, à la cupidité des banquiers et des actionnaires, au gâchis et à l’irresponsabilité écologique de tout un chacun, à la résurgence des fanatismes religieux ni aux replis nationalistes et identitaires.

Non, toutes ces manifestations clairement observables ne sont que des symptômes d’un mal plus profond, d’un virus universellement répandu et dévastateur : l’ego.

Une des particularités de ce « virus » est qu’il demeure ignoré de ceux qui en sont le plus atteints.

Caché au plus profond de l’être humain, il reste inaccessible à son regard tant que celui-ci reste tourné vers l’extérieur. Une autre de ses particularités est qu’il paraît inhérent à l’être humain, comme une composante intrinsèque.

Mais une autre composante intrinsèque de l’espèce humaine est sa recherche de la vérité concernant la vie, sa vie. De tous temps, sur tous les continents de notre planète, des chercheurs spirituels de tous horizons se sont laissé inquiéter par les questions essentielles, se sont arrachés à l’ensorcelante séduction des apparences, et ont peu à peu appris à tourner leur regard vers l’intérieur, débusquant ainsi la cause de tous leurs maux.

Nous sommes le problème et l’annihilation de l’ego est une constante de toutes les voies spirituelles

Le premier pas sur la Voie, quels que soient la forme et le langage que cette Voie emprunte, est la compréhension des mécanismes d’enfermement de la conscience par elle-même. Il s’agit là d’informations intelligibles.

Pour bien préparer une évasion, il faut d’abord étudier minutieusement le plan de la prison, ses points faibles, le rythme des relèves de garde, les jours et les heures d’approvisionnement ou de transfert, etc. et connaître les rudiments de la vie hors des murs.

Le deuxième pas est le ressenti douloureux de la pression de l’ego, l’expérience intime de son emprise multiforme et de ses conséquences sur le corps, sur les émotions et sur les pensées.

Cette connaissance de première main va donner à l’information intelligible saveur, relief, couleur. Elle l’anime, lui donne vie, et suscite un puissant désir de libération, un élan dynamique. Sans cette animation, sans cet indispensable supplément d’âme, sans cette é-motion, cette lame de fond, la compréhension purement intellectuelle reste lettre morte, intérêt superficiel : elle ne fait rien bouger, elle ne nous met pas en mouvement ; elle nous ouvre les yeux mais nous restons paralysés.

Lire un article sur une famine ou une dictature n’est pas du tout la même chose que les subir dans sa chair. L’information devient conscience claire par l’expérience intérieure.

Le troisième pas est l’engagement personnel sur la Voie, la désobéissance consciente et volontaire, quotidienne, aux injonctions de l’ego, sur la base de la compréhension, de la connaissance de soi et de l’aspiration à l’affranchissement.

C’est un travail de dépouillement, de neutralisation des automatismes, d’abandon à la Voie elle-même. Il en résulte une sorte de légèreté inconfortable, de dépossession libératrice, mais aussi une immense gratitude de pouvoir mettre fin à des décennies d’auto-esclavage.

Le quatrième pas découle tout naturellement des précédents. Il s’agit d’une attitude neuve, non programmée, face aux circonstances, événements, rencontres ; d’une attitude, dans tous les aspects de l’existence, qui tient compte spontanément de l’intérêt du tout, du bien commun qui inclut aussi (mais pas seulement) soi-même. Un désintéressement lucide, une serviabilité dégagée de toute attente.

La culture et l’éclosion de ces quatre aspects de la Voie ouvrent la porte d’un nouveau monde, d’un champ de conscience jusqu’alors inexploré. Il ne s’agit pas d’un domaine plus ou moins lointain à l’orée duquel notre cheminement nous aurait conduit(e)s.

Non, le nouveau monde a toujours été, est encore, et sera toujours ici même. Simplement, notre état de conscience antérieur, inapproprié parce que centré sur lui-même, nous en interdisait l’accès.

Lorsque le brouillard épais de l’ego-centrisme se dissipe, une nouvelle réalité apparaît.

Il ne s’agit pas d’un « voyage vers », mais d’une élévation progressive du niveau de conscience qui ouvre à un domaine de perception tout autre, en permet l’entrée effective, et dévoile une capacité d’action neuve.

Rêver d’une société équitable, non violente, basée sur le respect du bien commun et de la nature reste une utopie si l’on ne résout pas prioritairement la question de l’ego. C’est comme concevoir une bergerie-modèle où les moutons pourraient mener une vie heureuse, saine, équilibrée et épanouie, sans envisager d’abord l’élimination du loup qui l’habite.

La destitution de l’ego est la condition sine qua non de la résolution de la crise multiforme actuelle. Pour paraphraser André Malraux : l’être humain du 3ème millénaire sera spirituel ou ne sera plus. C’est notre première et dernière responsabilité.

L’émergence du nouveau (et éternel !) paradigme esquissé plus haut, l’auto-révolution intérieure silencieuse et assidue, possiblement hâtée par la fin qui menace, sera seule capable de semer les germes d’une renaissance civilisatrice ayant su tirer les conséquences du passé, de l’erreur fondamentale d’aiguillage dont nous sommes à la fois responsables et victimes.

Notre seul choix, notre seule liberté réside dans l’attitude que nous adoptons ici même, aujourd’hui, face à l’incertitude qui caractérise notre existence.

Nous avons ainsi la « chance » inouïe d’être pour ainsi dire acculés à lâcher nos prérogatives, nos conceptions erronées et destructrices de nous-mêmes, de nos semblables et du vivant, pour effectuer enfin le saut quantique auquel nous invitent depuis toujours les traditions spirituelles : franchir le pas décisif d’une révolution totale de la conscience, seule issue au problème majeur que nous sommes devenus en tant qu’individus et en tant qu’espèce.

Nous ne sommes pas en face d’un problème : nous sommes le problème lui-même. Toutes les autres espèces encore vivantes sur Terre pourraient en témoigner si elles étaient douées de parole !

La « solution » tant désirée ne viendra pas d’un nouveau modèle d’organisation mais réside dans la (re)naissance d’un homme nouveau, d’une femme nouvelle, régénérés de l’intérieur par un travail sur soi intense, profond, sincère, persévérant et sans complaisance.

Un nouvel être humain doit naître, va naître, accouché par nous-même, totalement nettoyé des scories de l’illusion et de l’ego-centrisme dévastateur de réalité. Il ne peut (re)naître que des cendres de l’ego. Un chemin de retour à la Sagesse n’est plus une option : c’est l’ultimatum que nous lancent la nature et notre propre survie matérielle.

Au bord de ce chemin s’épanouissent et croissent les fleurs du bon sens, de la sobriété, de l’humilité, de la connaissance et du respect des lois de la vie, de la conscience de l’unité de tout et de tous, de la responsabilité et de la compassion.

A propos de l’auteur

Chercheur de vérité dès son adolescence, Jean approfondit avec enthousiasme différentes traditions orientales et occidentales (upanishads, taoïsme, bouddhisme zen, hermétisme, soufisme, gnosticisme, templiers, rose-croix…).

Ancien fondateur et dirigeant des éditions l’instant présent (connaissance de soi et spiritualité / nature et écologie / corps et santé) en région parisienne, conférencier et écrivain, il est aujourd’hui retraité en Haute-Savoie et contribue régulièrement à la revue 3ème millénaire.

Jean est auteur de : Recherche de l’Essentiel (Instant présent, 1992), La source de Vie (Instant présent, 1994), S’éveiller au Silence (Instant présent, 1996), Flèches de Lumière (Altess, 1997), L’appel de l’Autre Rive (en co-écriture avec Ghislaine, Mindset, 2022), Vers une conscience vivante (L’Originel-Accarias, paru le 19 avril 2023).

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