De l’informatique à l’affûtage : Xavier raconte sa grande bifurcation

Ce changement géographique ainsi que professionnel me ravit
@Aure Briand-Lyard

« Je n’avais pas envie d’attendre la retraite pour me dire que je me mets au vert ! ». De la mégapole à la ruralité, de l’informatique à l’affûtage… Xavier raconte pourquoi et comment il a bifurqué. Rencontre.

Lame de fond

L’exode rural des ultra-citadins vers une existence plus frugale ne surprend plus, tant ce phénomène fait désormais partie d’un monde contemporain aux prises de conscience démultipliées. Xavier est de ceux qui s’affranchissent de ce cadre. Il est pourtant passé d’un appart’ du 17ème arrondissement et d’un quotidien d’ingénieur informatique avec vue sur la Porte Maillot à une ferme du 17ème siècle dans un village landais…

Habité par une certaine tempérance, Xavier nous parle de sa reconversion vers un métier oublié qui le fait vibrer. C’est désormais loin des bureaux qu’il s’installe en itinérance, partant à la rencontre des locaux avec un service artisanal de proximité. Rencontre avec un passionné de choses simples, qui profite de sa nouvelle existence rurale et ne s’improvise pas donneur de leçons pour un sou !

Yggdrasil : Jusqu’en 2022, tu vivais et travaillais à Paris. En janvier 2023, tu lances ton entreprise, Bas-Armagnac Affûtage, dans le Sud-Ouest. Comment s’est amorcée cette évolution radicale ?

Ma réflexion ne s’est pas passée en 2022 mais bien avant ! Tout a commencé en 2021, quand j’envisageais de déménager de Paris. Je cherchais un métier qui me conviendrait, pour me reconvertir.

C’est ma passion combinée des couteaux et de la cuisine qui m’a fait dire que l’affûtage pourrait être fait pour moi. J’ai toujours aimé avoir des outils tranchants et qui coupent bien. L’idée d’entretenir des outils pour les autres, en leur apportant le même plaisir que moi d’avoir des lames qui fonctionnent, a fait son chemin…

Les couteaux de Bas-Armagnac Affûtage
@Aure Briand-Lyard

Y : Une fois ta décision prise de changer de vie, quelles ont été les étapes pour y parvenir, et pour ancrer ce fantasme dans la réalité ?

Une fois que j’ai compris que l’affûtage était le métier que je voulais faire, ça a été assez radical. Trouver ma reconversion a accéléré l’envie du changement de vie, et a rendu sa réalisation possible.

Ça a concrétisé le fait de s’implanter quelque part, de trouver une maison, et de suivre la formation proposée par l’École Nationale d’Affûtage et de Rémoulage dans les Hauts-de-France pour pouvoir exercer le métier correctement.

Je voulais changer de vie depuis un moment, mais tant que je n’avais pas d’idée de métier c’était plus compliqué. Mais ensuite, les étapes se sont enchainées très rapidement !

Y : Ton parcours s’inscrit dans une actualité : celle de la génération des « quadras bac +5 » qui plaquent leur quotidien dans les bureaux pour une existence au plus près de l’authenticité et de l’artisanat. Comment expliquerais-tu ce phénomène avec ton propre ressenti ?

Je n’ai pas l’impression de m’inscrire là-dedans. Dans mon cas, ce n’est pas une histoire de tout plaquer parce que ça n’allait pas.

Il s’agissait surtout de trouver une activité et un quotidien dont j’ai envie pour le restant de ma vie.

Après avoir effectivement passé plus de 20 ans à Paris, je me suis posé la question : « Est-ce que je veux encore passer 25 ans de cette façon-là, ou est-ce qu’il y aura un moment où je n’en aurai plus envie ? ». J’avais une certitude : je ne voulais pas vivre comme ça jusqu’à 65 ans.  Ça a été le déclic pour trouver ce que je voulais faire à très long terme.

Au-delà d’un choix personnel, mon choix de vie s’ancre aussi dans une démarche familiale. Ce n’est pas le sujet d’être à la mode, et de tout plaquer pour faire un truc rural parce que « c’est trop cool ». Il s’agit pour moi de trouver un équilibre de vie différent dès maintenant, qui me convienne. Je n’avais pas envie d’attendre la retraite pour me dire que je me mets au vert !

Y : Un changement de vie comme le tien peut faire rêver, et il y a de quoi ! Cependant, c’est un parcours semé d’embûches dont on parle rarement, au profit d’une image d’Épinal. Quelles ont été les complications auxquelles tu as dû faire face durant cette transition ?

Déjà, je pense que c’est un projet réalisable si c’est un choix familial et pas uniquement personnel. Si, comme moi, on n’est pas seul, il vaut mieux être en phase avec les autres membres de sa tribu pour une décision comme celle-ci !

Un projet de changement de vie est un travail en équipe, et c’est compliqué tous les jours.

Les timings qu’on imagine ne sont pas forcément respectés. On idéalise le projet, mais on se rend compte qu’il y a des obstacles liés à l’environnement. J’ai dû faire face à des retards de travaux sur la maison ancienne que j’ai acheté avec ma famille, repoussant de plusieurs mois mon emménagement et la création de mon entreprise…

Au-delà du métier, un changement de vie est souvent synonyme d’une nouvelle habitation et d’un nouveau lieu de vie. Cela touche quelque chose de très personnel, et on prend forcément les choses très à cœur. Il faut savoir faire preuve de patience et trouver un équilibre, ce qui est parfois difficile.

Y : Passer d’un salaire de cadre sup’ aux revenus d’un artisan indépendant pousse à une adaptation du quotidien… Comment parviens-tu à gérer cette transition financière ?

Je ne vais plus au restaurant ! Plus sérieusement, je m’adapte à la vie que j’ai choisie. Je pense que la vie de citadin pousse plus à la consommation au quotidien. Quand on est occupé à rénover sa maison et à créer son entreprise, on a moins de temps pour les dépenses superflues, donc l’équilibre arrive par lui-même.

Je vise l’atteinte d’une certaine autonomie du quotidien. Je me lance dans la permaculture, et je souhaite progressivement parvenir à une forme d’autosuffisance sur le plan alimentaire et énergétique. J’ai presque deux hectares de terrain, c’est parfait pour se lancer dans la création d’un grand potager et d’un poulailler ! Je vais également poser des panneaux solaires et construire des toilettes sèches dans les mois qui viennent. Mon but n’est pas de vivre en hermite, mais de garder un certain confort.

Je veux vivre en harmonie avec le lieu où je suis, sans révolutionner la campagne en en faisant un milieu urbain.

Au contraire, je vise à m’affranchir des codes de la vie citadine. Le plus important pour moi est de profiter de la nature. Je veux aussi pouvoir partager et échanger avec les gens autour de moi.

Y : Parmi la multitude de branches qui constituent le vaste monde de l’artisanat, tu as opté pour l’affûtage. Qu’est-ce qui t’a plu dans ce métier ?

Déjà, c’est lié à mes deux passions, la cuisine et les couteaux. Pour moi, cuisiner avec des couteaux qui coupent bien a toujours été ultra important. J’ai compris que je pouvais apporter cette satisfaction-là à de nombreux corps de métier ! De nombreuses activités sont concernées, du jardinage à la coiffure, en passant par le bricolage, le toilettage ou encore la couture.

J’adore travailler le métal, redonner du tranchant à un outil est assez vibrant. On a l’impression de fusionner avec la lame et de lui transmettre quelque chose. C’est un peu métaphysique !

Y : L’affûtage fait partie des métiers anciens, que l’on qualifie d’oubliés. Et pourtant, cet artisanat a de nombreuses vertus ! Tu pourrais nous expliquer l’intérêt d’aller voir un affûteur ?

Certes, c’est un métier oublié. Mais pourquoi ? C’est lié à la société de consommation, où on t’offre de plus en plus d’outils bas de gamme et pas chers. Quand ils ne fonctionnent plus, qu’est-ce que tu fais ? Tu en rachètes ! Alors que concrètement, quand tu as un outil de qualité, tu as envie qu’il continue à vivre.

C’est tout l’intérêt de ce métier. Quand tu t’achètes un beau couteau, tu as envie de faire en sorte qu’il garde son tranchant le plus longtemps possible. Sans parler du fait qu’un outil qui coupe bien c’est plus facile à utiliser, c’est plus agréable et ça évite de se blesser…

L’affûtage fait partie des métiers anciens
@Aure Briand-Lyard

Y : Tu as quitté le 17ème arrondissement parisien pour t’installer dans le petit village de Parleboscq dans les Landes. Comment la population locale a-t-elle vécu ton arrivée ?

Je trouve qu’on a été plutôt très bien accueillis avec ma famille d’un point de vue humain. Nous n’avons rencontré ni rejet ni discrimination. On s’est installés dans un petit village de 500 habitants, et je pense que notre arrivée a été vécue de manière positive par le voisinage, comme il y a plus de jeunes qui partent que de familles qui viennent s’installer !

D’un point de vue professionnel, j’ai également eu l’impression d’être très bien reçu. Les gens portent de l’intérêt envers mon entreprise, car il n’y a pas de service similaire dans mon périmètre.

Y : Ton entreprise, Bas-Armagnac Affûtage, vient d’ouvrir. Concrètement, comment se passe une journée-type dans ta vie d’affûteur itinérant ?

Mes matinées vont être dédiées aux marchés locaux durant la saison estivale, car je travaille dans une région particulièrement touristique. Les après-midis sont consacrés aux rendez-vous pris avec des particuliers et des professionnels. Je vais à la rencontre de mes clients, et je me déplace dans le Gers, les Landes et le Lot-et-Garonne.

Une fois la journée terminée au niveau des déplacements et des prestations, je me consacre à la partie administrative. Ce qui est agréable en étant parti à la campagne, c’est que je note mes rendez-vous dans le jardin ! Cela ne me fait pas regretter d’être parti de Paris, où j’aurais pu exercer le même métier mais pas dans les mêmes conditions.

Y : Le 8 février 2023, tu as lancé une campagne Ulule pour faire découvrir ton entreprise grâce à un système de prévente de bons d’achat. Tu as doublé ton objectif de 1500 euros bien avant la fin de la campagne, ce qui est très impressionnant ! Comment as-tu eu l’idée de cette campagne de financement participatif ?

Je me suis toujours intéressé au système de crowdfunding. Jusqu’à présent, je suivais surtout les préventes de jeux de société, de livres et de bandes-dessinées, qui sont très prolifiques sur les différentes plateformes de financement participatif.

Concernant Bas-Armagnac Affûtage, il y avait le risque que cela ne prenne pas. On ne vend pas des préventes de prestations de services de la même manière qu’une BD !

Je me suis dit que la prise de risque valait le coup. Faire une campagne sur Ulule pouvait être une manière de faire connaitre mon entreprise à une population plus vaste que celle touchée par le bouche à oreille autour de chez moi.

Finalement, le résultat est bluffant ! J’en profite pour remercier du fond du cœur tous les contributeurs qui ont cru au projet et qui m’ont aidé à m’implanter.

Y : Si tu avais la possibilité de remonter le temps, penses-tu que tu prendrais la même décision concernant ton changement de vie ? Avec du recul, aurais-tu souhaité vivre cela il y a déjà 10 ou 20 ans ?

Je prendrais la même décision sans hésiter ! Ce changement géographique ainsi que professionnel me ravit. En revanche, je pense que ce changement de vie est arrivé au bon moment et me convient aujourd’hui, à la suite de tout ce que j’ai pu vivre auparavant. Je n’aurais peut-être pas autant de plaisir à le vivre aujourd’hui si je n’avais pas mon passé avec moi.

Ce que j’ai vécu avant m’apporte de l’expérience et de la maturité pour construire cette nouvelle vie.

Je tire du savoir de ma précédente carrière en entreprise sur le plan professionnel. Sur le plan personnel, j’ai pu profiter des plaisirs culturels et dynamiques de la vie parisienne. Je ressens ma vie passée comme une étape, sans sentiment de rejet !

Aller vers l’équilibre
@Aure Briand-Lyard

Pour en savoir plus :
Bas-Armagnac Affûtage
Xavier Maigrot – Affûteur Rémouleur Itinérant
www.bas-armagnac-affutage.com
06 09 84 08 66 / basarmagnacaffutage[at]gmail.com

 

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