Découvrons ensemble les refuges confidentiels des milliardaires, petits paradis privés néo-zélandais ou argentins et bunkers de luxe fortifiés. Une enquête fact-checkée et garantie sans complot, mais avec de vrais morceaux de CEO de la Silicon Valley dedans !
Pas envie de tout lire ? En voici les version podcast et vidéo.
En mars 2017, dans une interview à l’Obs, intitulée « Les super-riches abandonnent le monde », le philosophe du lifestyle, Bruno Latour avançait la théorie suivante : « À la fin des années 1970, ou au début des années 1980, les membres les plus astucieux des classes dominantes ont compris que la globalisation n’était pas soutenable écologiquement. Mais, ajoute-t-il, au lieu de changer de modèle économique, ils ont décidé de renoncer à l’idée d’un monde commun ». Autrement dit, « la classe dominante s’est immunisée contre la question écologique en se coupant du monde ». Leur monde ne serait plus le nôtre, mais un monde de gated communities.
L’essayiste évoque alors un article du New-Yorker, qui révèle comment les milliardaires achètent des terres et se construisent des abris luxueux en Nouvelle-Zélande, en Terre de feu (Argentine) et au Kamchatka (Russie), les trois endroits de la planète qui seront les moins touchés par le réchauffement climatique.
Une thèse à l’origine de nombreux fantasmes complotistes, mais aussi d’enquêtes et de témoignages révélateurs de la fébrilité des hyper-riches et de leur conscience de l’imminence d’un effondrement écologique et sociétal.
En voici déjà deux qui vont vous faire dresser les cheveux sur la tête :
-Une note privée de la Deutsche Bank, uniquement destinée à ses « grands comptes » alerte ces gros clients des dangers d’effondrement du système industriel et financier. Une dystopie hyper-réaliste pour hyper-riches, à lire ici.
-En Australie, les habitants du très chic front de mer de Sydney ont dépensé près d’1 million de $ pour construire un mur de 7 mètres de haut et protéger leurs villas de la hausse du niveau de l’Océan. Pour en savoir plus, c’est par ici.
Paradis néo-zélandais
Parmi les principaux signaux faibles d’une « sécession des riches », on trouve l’exil de nombreux tycoons de la Silicon Valley sur les terres de Nouvelle-Zélande. Selon Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn, interviewé par le New-Yorker, « plus de 50 % des milliardaires de la Silicon Valley ont acquis ‘une assurance apocalypse’ » (comprenez « un bunker en Nouvelle-Zélande »).
Et ils ne seraient pas les seuls. D’après Robert Johnson, président de l’Institute for New Economic Thinking, « des gestionnaires de hedge funds du monde entier achètent des pistes d’atterrissage et des fermes dans des endroits comme la Nouvelle-Zélande parce qu’ils pensent avoir besoin d’une porte de sortie ».
Au micro de la BBC, Antonio Garcia Martinez, ancien manager de Facebook et Twitter, confirme : « notre société s’apprête à vivre des changements économiques et technologiques spectaculaires, et je ne pense pas que les gens le réalisent ». Lui a décidé de déménager sur une île dans un bunker alimenté par des panneaux solaires.
Comme quoi, les magnas des high-techs ont beau prôner le transhumanisme, ils s’intéressent aussi au collapse.
Bunkers de luxe
Tout a commencé lorsque le millionnaire Peter Thiel, co-fondateur de Paypal et de Palantir, s’est installé au pays des Kiwis (la Nouvelle-Zélande donc) qu’il surnomme désormais « Utopia », en référence à l’ouvrage de Thomas More.
Depuis, selon le Guardian, « 50 % des entrepreneurs de la tech se sont acheté une propriété en Nouvelle-Zélande ou ailleurs… ».
Parmi eux, on compte Julian Robertson, un « superstar trader » de 88 ans, toujours PDG d’un fonds d’investissement californien, qui a investi du côté du lac néo-zélandais de Wakatipu et Bill Foley, 76 ans, chairman du fonds Fidelity National Financial Inc., qui a choisi la région nordique du Wairarapa. Le Guardian évoque aussi 7 autres pontes de la Silicon Valley installés dans des bunkers blindés, construits à 3 mètres de profondeur sous les vastes prairies néo-zélandaises. Plus au Nord, on trouve le ranch du réalisateur de Titanic : James Cameron.
La plupart de ces « surviva-villas » ont été construites par la société Terra Vivos, fondée par Robert Vicino, qui s’était fait connaître avec un bunker anti-atomique de luxe inauguré le… 21 décembre 2012, date de l’apocalypse selon le calendrier Maya.
Depuis, le rush a été si grand, que le gouvernement néo-zélandais à voté, en juin 2018, une loi interdisant aux étrangers ne possédant pas de titre de séjour d’acheter des biens immobiliers. Les ultra-riches se sont alors empressés de contourner cette règle en « achetant » des titres de séjour de complaisance contre d’importants investissements dans l’économie locale. Business is business !
Mark Zuckerberg, quant à lui, voit plus grand. Le CEO de Facebook n’a pas rejoint ses copains en Nouvelle-Zélande, mais s’est carrément acheté un ranch dans le pacifique, sur une petite île au large de Hawaï. Il a racheté les terres des quelques familles présentes, pour s’y faire construire une propriété et une ferme bio de 27 hectares, en autarcie totale. Un investissement de plus de 100 millions de dollars pour assurer sa survie.
La Patagonie, nouvel Eden des VIP
Depuis la fin des années 1990, la « Terre de feu » argentine fascine est ultra-riches. Ils sont tellement nombreux à s’être accaparés des milliers d’hectares de terre, que les agents immobiliers du coin se demandent « quand Dieu va venir y investir » ?
Il faut dire que ce bout du monde est encore épargné par la pollution et le réchauffement climatique. Ses grands espaces, ses lacs cristallins, ses forêts majestueuses et sa terre productive, en font un eldorado naturel, un joyau écologique, unique au monde.
Le premier à s’être construit un refuge en Patagonie, en 1997, fut Ted Turner, boss la chaîne de télévision CNN et mari de l’actrice Jane Fonda. Il s’est offert 5 000 hectares dans un magnifique site de la province de Neuquen. Le tout pour (seulement) 6,5 millions de dollars.
Il a, semble-t-il, été inspiré par plusieurs personnalités argentines, dont la femme d’affaire Amalita Lacroze de Fortabat, la reine du ciment, qui s’est construit une villa en face du lac Nahuel Huapi. Et pour profiter de sa magnifique vue, elle paye des hommes de main chargés de bloquer l’accès aux habitants du coin. La milliardaire a vite été rejointe par la famille Röemmers, patrons de labos pharmaceutiques et un certain Alfredo Yabran, homme d’affaires soupçonné d’être le chef de la mafia Argentine et grand ami du président Carlos Menen.
Mais depuis les années 2000, la majorité des nouveaux arrivants sont des ultra-riches anglo-saxons, notamment le milliardaire britannique Joe Lewis – qui a fait sa fortune avec les Hard Rock cafés et Planet Hollywood. Il a racheté les hectares à la pelle. Montagnes, rivières, lacs… tout lui va. Il a même détourné le cours d’une rivière, pour bâtir sa propre centrale hydro-électrique.
Non loin de là, la star Sylvester Stallone s’est offert un lac et 14 000 hectares du côté d’El Bolson, refuge champêtre des hyppies et artistes depuis plusieurs décennies. Tarif : 8 millions de dollars.
Georges Soros, flairant la bonne affaire, s’est offert un domaine de 350 000 hectares de terres, acquis au fil des 10 dernières années. Il a même, pendant quelques temps, été le premier propriétaire terrien argentin, avant d’être détrôné par famille Benetton.
Luciano et Carlo se sont bâtis un empire de plus de 900 000 hectares du côté d’Esquel, en plein territoire Mapuche. Sans difficulté, Luciano a pu détourner le cours de la rivière Chubut pour abreuver ses milliers de moutons mérinos. Il faut savoir que, là bas, le maître de l’eau douce est le maître du monde…
Plus altruiste, Doug Tomkins, fondateur de la marque Esprit, a mis sa propriété de 303 000 hectares (la taille du Luxembourg) à la disposition d’ONG, sous le statut de réserve naturelle.
Côté Français, on compte notre Florent Pagny national (installé depuis 1997). Mais les Belges ne sont pas en reste, puisque le roi de l’immobilier, Hubert Gosse, fait partie des happy fews patagoniens.
Conséquence, les fils barbelés poussent comme des mauvaises herbes et le prix de l’hectare s’envole, au détriment (ou plutôt au mépris) des habitants de la région.
L’Amérique des bunkers de luxe & survival-condos
Depuis la guerre froide, les américains restent fascinés par les « nuclear shelters », les bunkers de luxe anti-nuke dont l’un des plus beaux vestiges est situé à Tifton, en Georgie, sur la côte Est des Etats-Unis.
Construit en 1969, il est capable de supporter une explosion de 20 kilotonnes. Son prix ? 17 millions de dollars, pour 12 chambres, une centrale électrique, une cuisine de resto gastronomique, un ciné, un centre médical et, bien sûr, un stand de tir.
L’Île Grecque, ou l’histoire du premier bunker de luxe. Construit en Virginie occidentale entre 1959 et 1962 à la demande du président américain Eisenhower (dont les correspondances depuis déclassifiées révèlent un état de paranoïa avancé), son existence n’a été révélée au public qu’en 1992. Construit dans un écrin de verdure où « Ike » Eisenhower pouvait s’adonner à sa passion pour le Golf, il pouvait accueillir jusqu’à 535 personnes sur 3500 m². Construit sous le terrain de l’hôtel 5 étoiles « The Greenbrier », il contenait un centre médical, un système de filtration des eaux usées, un laboratoire pour synthétiser des médicaments, un centre de communication et une cuisine digne d’un palace. Depuis sa révélation publique les bunkers de luxe ne servent plus qu’à héberger des serveurs internet et à accueillir quelques touristes, en mal de sensations fortes.
Pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un abri anti-atomique « individuel », les promoteurs immobiliers proposent deux solutions :
Option a) Le « Survival Condo » : un immeuble sous-terrain, installé dans un ancien silo à missiles, paumé en plein Kansas. Cette résidence anti-nucléaire gentryfiée porte le joli nom de « The silo home ». Chaque appartement est vendu d’1,5 millions d’euros, intégralement meublé et équipé, avec un stock de 5 ans de vivres. La résidence propose à ses occupants plusieurs services, comme une piscine olympique, un mur d’escalade, un cinéma, un parc à chiens et une salle de jeux d’arcade. Au moins PAC-Man nous survivra !
Option b) La « bunker community » : un champ de 575 abris anti-atomiques construit dans le conté de Fall River, dans le Dakota du Sud, pouvant accueillir près de 5 000 personnes. Le nom du code de ce projet : « Vivos X-Point ».
Les bunkers de luxe européens
Fort de son succès américain, la société s’est lancée à la conquête du marché européen. Première cible : l’Allemagne, où le complexe « Vivos Europa one« , construit dans une montagne de Rothenstein (Thuringe), a été estimé à plus d’1 milliard d’euros. Considéré comme le bunker le plus sûr d’Europe, il est aussi le plus fastueux.
The Vivos Europa One
Selon la brochure, il pourrait encaisser plusieurs tremblements de terre, un crash d’avion direct, des inondations et n’importe quelle attaque biologique grâce à un système de recyclage d’air. Les basiques (piscine, cinéma et salle de fitness) sont évidemment présents, mais le complexe comprend aussi une serre autosuffisante, des aquariums tropicaux, une chapelle médiévale et une brasserie – histoire de ne pas oublier de s’hydrater – ainsi qu’un musée et un coffre fort, pour y préserver ses trésors et des semences agricoles. Pour y acquérir un appartement privé, il vous faudra débourser pas moins de 5 millions d’euros. De quoi reconstruire un monde d’après uniquement entre membre des « 1 % ». Il serait en effet dommage de passer la fin des temps en mauvaise compagnie.
À la fois atypiques et futuristes, les bunkers de luxe construits par Vivos en Europe laissent rêveurs. Prenez le « Martello Tower Y », aménagé dans le Suffolk (Angleterre) derrière des murs de briques de 3 mètres d’épaisseur mais avec une vue panoramique sur les magnifiques paysages de la côte britannique. Ou bien « The Oppidum », construit en république tchèque sur les ruines d’une forteresse de la guerre froide. On y trouve un terrain de golf, un court de tennis, une salle de classe, une clinique et une boîte de nuit.
On vous laisse aussi découvrir « The safe house », bâti en Pologne.
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L’exil scandinave des riches européens : mythe ou réalité ?
Interviewé par Thinkerview en mai 2019, l’économiste à l’Agence Française de Développement, Gaël Giraud raconte une rencontre avec des hauts responsables de la City en Angleterre. Ces derniers seraient pleinement conscients des dangers d’effondrement à la fois économique, mais aussi civilisationnel. Pour autant, ils refuseraient d’agir, afin de préserver leurs intérêts individuels le plus longtemps possible.
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Pour se protéger des effets du collapse, ces financiers auraient décidé de déménager en Suède, où le climat serait bien plus clément – ce que les méga-feux dans les forêts suédoises en 2020 ont contredit. « Ils vont devoir se faire des bunkers de luxe, conclut-il, mais c’est très désagréable de vivre dans des bunkers (…). Ils vivent encore dans le fantasme qu’il existe une île déserte où ils pourront se cacher ».
Une théorie reprise par le député François Ruffin dans son livre « Il est où, le bonheur » (Ed. Les Liens qui libèrent). Il y raconte le témoignage d’une « amie qui connaît un banquier de la City ». Selon lui, « les riches européens seraient déjà en train d’acheter des résidences en Scandinavie », notamment en Norvège. « Ils préparent déjà leur exil climatique ! » a-t-il encore récemment tempêté sur France Inter.
Des révélations mises en question par l’équipe du checknews de Libération et par la cellule désintox du magazine 28 minutes d’Arte. D’abord, les journalistes du quotidien expliquent que, selon le ministère norvégien des Finances, il n’y aurait pas d’arrivée « massive » de riches étrangers sur le sol Norvégien. Ensuite, ceux de Arte évoque « plus une rumeur qu’une tendance ». Mais si vous avez des témoignages qui viendraient confirmer cette « rumeur », nous sommes preneurs !
Pour aller plus loin, on vous recommande :
–cette enquête signée Bloomberg, illustrée avec une bande-dessinée à base de GIFs. Par contre, c’est en anglais !
-ce livre du cyberpunk new-yorkais Douglas Rushkoff, intituilé Survival of the richest, escape fantasies of the tech billionaires (« La survie des plus riches, les fantasmes d’évasion des milliardaires de la tech ») qui raconte comment les milliardaires technophiles s’organisent pour échapper au monde qu’ils contribuent à détruire.