Apprendre à surmonter un effondrement personnel pour affronter le collapse

Surmonter un effondrement personnel pour affronter l’Effondrement
@Cindy Jeannon

Comment traverser la courbe du deuil quand on ne s’y attend pas, que l’on se croit à l’abri de la perte d’un proche ? A travers l’expérience de Gaëtan Laot et les parallèles avec les ressentis face aux désastres écologiques qui ponctuent  son récit, vivre une tragédie personnelle permettrait-elle de nous renforcer face à un effondrement plus global ?

J’ai passé des années à craindre l’Effondrement inéluctable de notre civilisation, à en vouloir à mes semblables que je jugeais trop écolo-laxistes ; à me nourrir d’articles, d’ouvrages, de documentaires, de vidéos, tel un collapsoïnomane cherchant sa dose de fin du monde ; en ne réalisant pas que le plus grand effondrement que je connaîtrais serait d’abord personnel avant d’être global.

Le méga-feu intérieur

Il y a un peu plus d’un an, j’ai perdu mon père. Ou peut-être était-ce hier, je ne sais pas1.

C’était brutal, sans signe précurseur ; une crise cardiaque. On est tranquille chez soi, à faire sa petite vie, à songer à ce qu’on va bien pouvoir manger au déjeuner, et puis on reçoit un coup de fil qui fout en l’air tout son équilibre. LE coup de fil traumatique dont je me souviendrai toute ma vie.

Et cette journée – le fucking 9 janvier – qui sera, pour moi, à jamais drapée de noir.

Un méga-feu a brûlé mes repères et je suis tombé dans un gouffre de sidération et de larmes. J’étais effondré, littéralement. Comme l’écrit Joan Didion dans L’année de la pensée magique, c’était un jour normal et puis tout a basculé.

Ma sœur m’a annoncé que mon père avait été retrouvé mort dans la rue à cinq cents mètres de notre maison. Sidération infinie. Incompréhension totale. Monde qui s’effondre. Peur viscérale au moment de joindre ma mère. La voix d’une policière qui m’annonce que ma mère est prostrée, incapable de parler.

Passé en mode automatique pour soutenir ma mère et ma sœur, je me demande encore comment j’ai fait pour conduire seul pendant quatre heures pour les rejoindre.

Mon frère et ma belle-sœur arriveraient en soirée d’Irlande et nous nous retrouverions tous dans la maison familiale avec l’impression que le toit s’était effondré mais que nous devions nous soutenir pour traverser cette épreuve.

Le temps des questions sans réponses

Pourquoi c’est arrivé ? Comment peut-on mourir sans signe annonciateur ? Pourquoi je n’ai rien vu venir ? Qu’est-ce que j’ai mal fait ? Est-ce que je lui ai déjà dit que je l’aimais ? Comment ma mère va-t-elle faire pour vivre seule ? Pourquoi cette injustice ?

Autant de douloureuses questions, de marchandages avec le passé, de culpabilités, d’angoisses pour le présent et le futur qui me suivront pendant des mois et continuent parfois à gâcher mon sommeil.

Passées les horribles étapes des obsèques et de l’administratif (qui rajoute de la froide et absurde bureaucratie au désespoir), j’ai mené ma petite enquête pour tenter de comprendre l’impensable : comment un être cher peut-il disparaitre du jour au lendemain ?

On nous a transmis le numéro de téléphone de la passante qui lui a prodigué un message cardiaque, on l’a appelé pour la questionner sur les derniers instants de notre père. On a échangé avec son médecin traitant pour comprendre si des fragilités cardiaques avaient été décelées.

J’ai lu (à la limite de l’obsession) beaucoup d’articles sur les accidents cardiovasculaires et pu (re)découvrir qu’ils sont aggravés par des facteurs liés à la modernité : surpoids, tabac, stress, sédentarité. Des lectures d’ouvrages bouddhistes m’ont rappelé le précepte de la souffrance comme étant intrinsèque à la vie.

J’ai passé du temps à potasser la courbe du deuil, sans que la douleur et l’anxiété ne me quittent pour autant.

En clair, j’ai enfoncé des portes ouvertes et j’ai nourri mon esprit rationnel mais je restais bloqué dans le creux de la courbe.

Ce serait évident de rappeler que le processus de deuil ne se joue pas au niveau rationnel mais au niveau émotionnel et corporel. Par l’accompagnement d’un psy, la pratique de la méditation, du yoga, et le soutien de mes proches, j’ai pu ressentir et exprimer mes émotions douloureuses pour mieux les traverser, et essayer de redescendre au niveau corporel.

Au bout d’un an, je commence à accepter cette réalité impossible à admettre : mon père est mort. Je n’en suis pas responsable. Ceci est arrivé. Je dois tâcher de vivre avec.

J’imagine qu’on passe par un processus similaire quand on éprouve la solastalgie, quand l’endroit où l’on a grandi est dévasté par une catastrophe due au réchauffement climatique.

La mort, pas chez moi chez les autres

Beaucoup de psychologues et d’anthropologues le décrivent, la modernité a éloigné la mort de nos vies. L’espérance de vie a été allongée, les décès ont lieu en majorité à l’hôpital. Les progrès de la médecine, les nouvelles technologies, la glorification de la beauté et du jeunisme véhiculées par les réseaux sociaux, nous donnent l’illusion d’une quasi-immortalité.

Comme un individu victime de son temps, pour forcer le trait, la mort, je pensais que ça concernait les autres, pas moi, pas ma famille. Bien qu’ayant perdu deux grands-parents jeune et étant passé par des deuils précoces, il faut croire que j’ai fait preuve d’amnésie.

Depuis quelques années, la mort était devenue pour moi un sujet lointain, surtout traitée par les médias. Tous les jours, les médias mainstream brassent des pelletées de morts : Féminicides, accidents mortels, fusillades, victimes d’épidémies et de catastrophes naturelles, cancers…

Bien que ce soit nécessaire d’en parler, cela peut rester à l’état de chiffres qui s’additionnent si bien qu’avant que mon père décède, je me croyais préservé dans ma forteresse invisible ; la mort s’arrêtait aux portes de ma famille. 

Se relier à la souffrance d’autrui

Quand la mort nous touche directement, on est ébranlé, on plonge dans les abysses de la souffrance mais dans un sens, connaitre un deuil relie aussi à l’humanité.

Avant j’étais mal à l’aise avec ceux qui m’annonçaient avoir perdu un proche. Je fuyais le sujet, je faisais comme si ce n’était pas arrivé.

Maintenant, j’ai plus de compassion pour eux, pour ce qu’ils ont traversé et traversent. Je les incite à me parler du proche qu’ils ont perdu et un échange sincère peut s’établir sur les émotions qu’on traverse et sur la manière dont on tente de faire face.

En sera-t-il de même quand les désordres climatiques vont nous apporter (et nous apportent déjà) leurs lots de souffrances ?
Espérons que oui.

L’héritage de nos défunts et de nos ancêtres pour nous et les générations futures

Je ne crois ni en Dieu, ni à une vie après la mort. J’ai un esprit (trop ?) cartésien. Pourtant j’ai renoué avec une certaine forme de spiritualité.

Ça peut paraitre dérisoire mais pourquoi le matin des obsèques, après que nous ayons pris nos douches, mon frère nous a fait remarquer que le cordon de la douche formait un cœur ? Pourquoi l’après-midi de ce même jour, après avoir tant pleuré, le ciel brestois de l’hiver est devenu ensoleillé et d’un bleu limpide ?

C’est peut-être notre esprit qui nous fait voir des signes. Sans doute. La vie pourtant comporte sa dose d’inexplicable.

Ce qui est certain c’est que mon père m’a élevé, à sa manière m’a aimé. Il m’a transmis des valeurs, m’a donné le goût de l’écologie, le sens de la famille, le respect des anciens.

Je ne l’idéalise pas, comme nous tous, il avait sa part d’ombre, mais aussi de soleil. Il va continuer de m’accompagner dans ma vie. Ce n’est pas parce qu’on meurt qu’on disparait.

Nos ancêtres nous ont précédé. Le flambeau de la vie est perpétué de générations en générations. Nous faisons partie d’un tout. Nous sommes une partie des générations antérieures comme les générations futures sont une partie de nous.

Pour faire face à l’Effondrement, honorer nos défunts et nos ancêtres, intégrer les valeurs qu’ils nous ont transmises, se relier à la souffrance pour mieux la surmonter, cultiver les relations qu’on entretient avec les vivants, semblent plus que jamais les voies vers la reconstruction d’un monde plus résilient qui ne sera plus dans le déni de la mort, ni de la souffrance qu’il engendre.

1 Référence à Albert Camus dans L’Étranger dont le protagoniste Meursault a perdu sa mère dès le début du roman.

A propos de Gaëtan Laot :
J’ai un parcours non-linéaire dicté par deux prises de conscience écologique, la première douce à l’adolescence puis plus radicale vers vingt-cinq ans quand j’ai compris qu’on se dirigeait droit vers un effondrement, merci à Jared (Diamond) et Pablo (Servigne, of course).

Après des études en école de commerce (option développement durable) – j’étais encore naïf et matrixé à l’époque – je me suis tourné vers l’associatif. Puis, j’ai eu ma crise de la trentaine et j’ai passé un CAP menuisier.

Aujourd’hui je suis animateur d’un atelier bricolage partagé à Nantes et en parallèle je suis accompagnateur (indépendant) de la transition écologique auprès de collectivités.

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